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À Martissant les balles tuent des hommes mais aussi l’écologie
Clément s’était réveillé d’une humeur joyeuse ce matin-là, sans avoir la moindre idée que sa journée allait se terminer sur une note sombre. Il était environ 1h de l’après-midi quand, en route pour chez lui à Lamentin 54 (Carrefour), il allait se produire à Martissant, l’événement tragique qui allait lui ravir sa joie de vivre. Il s’était malheureusement vu être la cible, volontaire ou pas, de cette balle assassine qui, par la simple volonté de ce bandit, lui a transpercé le flanc droit. Neuf mois après, après plusieurs opérations, les blessures tant physiques que psychiques tardent à se cicatriser.
La voiture roulait normalement quand, d’un sang-froid digne d’un criminel endurci, le jeune homme a décidé de faire feu en direction du chauffeur qui, de justesse, avait échappé à son agresseur. « Chauffeur, je suis touché”, criait Clément, quand il avait senti ce liquide visqueux et chaud couler sur son flanc droit. « Les autres passagers étaient frappés de stupeur devant cette lugubre situation mais le chauffeur était assez lucide pour continuer à rouler jusqu’à l’hôpital sans frontières de Martissant, où il m’avait déposé. »
Plongé dans le désespoir
Clément Lambert, 40 ans, a reçu à Martissant, le 15 juin 2021, une balle trans abdominale avec perforation intestinale tandis qu’il rentrait chez lui à Lamentin 54 (Carrefour). Il est marié et père d’une petite fille de 11 ans et d’un bébé de sept mois. « Je n’aurai pas la chance de voir mes enfants grandir », avait pensé Clément face à l’incertitude qui pesait sur sa vie. « Je souffrais énormément et je saignais tellement qu’on a dû me transférer en toute urgence à l’hôpital sans frontières de Tabarre. »
« Après mon opération, je suis resté environs deux mois à l’hôpital parce que mon cas était critique. Loin de ma famille et malgré l’amabilité des personnels de santé, mes journées étaient toutes absorbées par le désespoir. Des idées noires me taraudaient constamment l’esprit. »
Des blessures qui tardent à cicatriser
Pendant plus de sept mois Clément a été porteur d’une colostomie et a dû traverser, toutes les deux semaines, la vallée de l’ombre de la mort pour se rendre à Tabarre afin de soigner sa plaie. Pas moyen de le faire à carrefour, carence de spécialistes et problème d’argent expliquent. Les jours qui passent n’enlèvent rien à la douleur qui emprisonne son corps aussi bien que son esprit.
Sentiment de peur, angoisse, désespoir, il essaie de mettre des mots sur sa douleur : « Certes, quatre mois se sont écoulés depuis le drame, mais pour moi c’est comme si je venais à peine de recevoir la balle. J’en souffre encore. J’ai mal partout. J’ai mal dans mon esprit. J’ai peur. Je suis presque tout le temps angoissé. Je suis insomniaque. Même au quartier, je m’isole. Mais j’essaie du mieux que je peux de mettre ma famille en confiance. »
Si certains ont du mal à s’en sortir, d’autres par contre gardent une certaine positivité et développe une certaine résilience vis à vis de leur vécu. C’est aussi le cas de Jacques* et Rigaud*. Le premier a été victime de Kidnapping et le second a, de justesse, lui et sa famille, échappé à l’affrontement entre gangs à Martissant le 5 juin.
Jacques* explique : » C’est une expérience que je ne souhaite à personne. N’étaient-ce pas les chaînes de prière de mes proches, je serais pour l’instant mort. Ils n’avaient pas l’intention de me libérer. Ils m’ont beaucoup martyrisé. C’était difficile mais je vais bien. La vue d’arme à feu m’effraie tout simplement, indépendamment de l’identité du porteur. Il est vrai que je m’abstiens de certains loisirs, mais je vais bien par la grâce du Tout-puissant. »
Jacques, fonctionnaires public ayant près de 26 ans de carrière, a été kidnappé le 3 janvier 2021 par les membres du gang armé Cinq secondes de Village de Dieu. Ils l’ont séquestré pendant 7 jours avant de le libérer contre rançon.
Le 5 juin 2021, Rigaud* a failli pleurer la mort de ses deux fils ainsi que sa belle-mère, muette. » Après avoir frappé à la porte à deux reprises et que personne ne répondait, ma belle-mère étant muette et mes fils respectivement âgés de 6 et 3 ans, les bandits étaient irrités et s’apprêtaient à incendier la maison quand, par la volonté divine, une voisine est sortie de sa cachette pour leur dire que c’était une muette et des enfants en bas âge qui habitaient la maison. Ce jour-là, j’avais passé la nuit, couché à même le sol, sur la galerie d’une maison abandonnée. J’étais inquiet car je ne savais pas qu’il advenait de ma famille. Le lendemain, c’était mon fils de 6 ans qui me racontait comment il les avait vu brûler des gens et des maisons. »
A l’instar de plus de 10000 personnes, René avait lui aussi été forcé d’abandonner sa maison et obligé d’envoyer ses enfants à la campagne. Et faute de pouvoir louer une nouvelle maison, ils dorment, sa femme et lui, dans une entreprise dans la capitale. « je n’arrive pas à fermer l’œil la nuit, je suis anxieux et j’ai perdu l’appétit. » Quant à sa femme, elle est devenue très peu loquace et elle fait face, elle aussi, des crise d’angoisse.
Vivre le stresse à 1000 %
Kidnapping, fusillade, guerre des gangs, la société haïtienne est de plus en plus exposée à l’insécurité. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une personne sur 5 vivant dans une région en guerre souffre de dépression, d’anxiété, de syndrome de stress post-traumatique, de désordre bipolaire ou de schizophrénie. Certes, en Haïti, nous ne sommes pas en guerre, mais c’était tout comme avec le lot de victimes de l’insécurité qui ne cessent d’augmenter tous les jours.
L’insécurité comme phénomène devient, en ce sens, une véritable menace pour la santé mentale de l’individu.
Le psychologue et Professeur Jean Wilner Louis abonde dans le même sens. Il explique que de façon générale, l’insécurité impacte la santé mentale de toute personne qui y est exposée, indépendamment du fait qu’elle soit une victime ou non.
En effet, l’individu vit chaque jour avec la crainte qu’il peut être une victime et au pire, laisser sa peau. D’une façon plus spécifique, le professeur Louis explique que chez les personnes qui ont été victimes directement ou indirectement de l’insécurité, on peut observer plusieurs troubles psychologiques ; relativement à la personnalité de la victime, elle peut être en proie à des épisodes de dépression, des troubles anxieux ou s’adonner à une consommation excessive d’alcool. « Entre autres symptômes qui peuvent figurer dans le tableau clinique d’une telle personne, on peut trouver la clinophilie, l’anorexie et l’anhédonie », a-t-il ajouté tout en mentionnant que chez les enfants on peut facilement trouver des troubles de l’apprentissage.
Or, en Haïti, les soins de santé manquent cruellement. Le tableau est encore plus sombre pour la santé mentale. On observe un manque de sensibilisation dans le domaine. Cette situation arrive à un moment où l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans l’Atlas publié à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre, met l’accent sur l’amélioration de l’accès à des soins de santé mentale de qualité.
Les balles crient, l’environnement paie les frais
Selon le rapport publié par le centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) le 21 juin 2021, les affrontements entre gangs dans la zone métropolitaine, du 1er au 15 juin, ont obligés plus de 10,000 personnes à abandonner leur maison.
L’ingénieur Merisca New Santa Wathoo, Spécialiste en Environnement et de l’eau, invite à comprendre que le déplacement de la population civile dans des endroits déjà réputés vulnérables sur le plan écologique. Les actes de kidnapping, de viols, vols, crée une désorganisation structurale et fonctionnelle débouchant sur l’ augmentation de l’insalubrité et l’empilement des déchets aux bords des maisons déjà mal construites se trouvant à la limite des ravins profonds creusés par les pluies.
Il explique que l’environnement est à priori un tout complexe et le dualisme qui existe entre ce dernier et l’homme ne doit pas faire l’objet d’une simple considération vague et isolé. En ce sens, « le flux de déplacement systématique de la population civile de part et d’autre à travers tout le pays, notamment de la zone avoisinante, constitue une perturbation et un déséquilibre dans ces zones déjà à risque de surpopulation et du contrôle de la police locale. »
Selon le classement 2021 de l’indice de paix mondiale, Haïti figure parmi les pays les plus dangereux au monde (108eme position). Cette pieuvre dont les tentacules s’étendent à tous les recoins du territoire national impacte gravement la santé mentale des citoyens ainsi que l’environnement.
En effet, le ministère de la santé publique a signalé, dans un communiqué, avoir observé une nette augmentation des cas de dépression, d’anxiété et de pensées suicidaires au niveau de la population haïtienne, selon les données disponibles à l’Unité de Santé Mentale (USM) et de la Direction d’Épidémiologie, des Recherches et de Laboratoires (DERL). Mais l’institution promet de diriger ses actions vers une d’augmenter l’accès à des soins de qualité dans le domaine de la santé mentale dans tout le pays.