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Réflexion

De la «génération de l’occupation» à la «génération de l’intervention»

Gang ame pran yon kamyon SNGRS nan zòn Douya

Réflexions en marge des funérailles du Dr Charles Manigat

Leslie François Manigat et Charles Nicolas Manigat nés en 1930, sous l’occupation américaine sont partis, sans avoir vu la saison des récoltes d’une terre qu’ils ont tant remué, labouré et ensemencé d’idées et de projets. Comme beaucoup d’autres, j’ai eu le privilège d’être « disciple » de leur enseignement de l’histoire d’Haïti et ils m’ont laissé leur amour d’un pays meurtri, mais surtout l’espoir et des tracés pour une renaissance, inspirée aussi de leur connaissance intime de l’histoire universelle. Le premier a fouillé les fondations de ce qu’est devenu aujourd’hui l’Institut National d’Administration de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI), le second laisse dans le grand nord l’ Institut Universitaire des Sciences juridiques et du Développement régional (INUJED). Ils sont tous les deux partis avec un ressenti d’impuissance, laissant leur pays dépendant d’interminables missions des Nations Unies, depuis la Mission Civile Internationale en Haïti (MICIVIH) de 1993 accompagnant l’accord de Governors Island jusqu’à la BINUH d’aujourd’hui. Ils sont partis tous les deux, en pleine crise sociétale et en plein désarroi de l’Etat-Nation.

Je ne qualifierai pas LFM « d’historien nationaliste », mais la cause nationale et le sentiment patriotique transcendent toute son œuvre jusqu’à la fin de ses jours. Je l’ai suivi, en 2009 à Santo Domingo, à l’occasion d’une conférence magistrale prononcée à l’Académie Dominicaine d’Histoire ayant pour titre : « De la révolution nationale aux interventions étrangères contemporaines ». Devant un parterre d’officiels, de diplomates, d’historiens, de sociologues et d’étudiants, il mettait en garde contre l’ignorance ou la mauvaise connaissance de l’histoire qui était selon lui, aussi néfaste que l’instrumentalisation politique du passé. Il appelait ainsi à l’intelligence et la solidarité régionales pour renforcer l’autodétermination des peuples et des nations. Partisan du multilatéralisme, il appelait néanmoins à éviter les interventions étrangères, sous quelques formes que ce soit sur le sol national et surtout à éviter les mauvaises politiques qui les occasionnent. Incompris pour ses réserves concernant l’embargo économique de 1993 et les accords de Governors Island, il craignait que ce ne soit le début d’une nouvelle et longue intervention étrangère marquant une certaine perte de la souveraineté nationale.

Je ne m’hasarderai pas non plus à décrire Charles de « régionaliste », mais il avait un parti pris certain pour le développement du grand Nord et plus largement le développement local. Certains de ses collègues ministres, le décrivaient comme le provincial du nord, car il détestait passer ses nuits à la capitale. Son expérience de « martyr » pour avoir été brutalisé par les tontons macoutes avant l’exil et ce sentiment d’arrachement à son pays, l’ont rattaché viscéralement à son terroir et je lui disais souvent, qu’il avait la rage du développement local. En effet, l’auteur d’ “Haïti quel développement?” rédigé avec Claude Moïse et Emile Ollivier, professait que les peuples se libéraient eux-mêmes, quand ils étaient maitres de leurs situations économiques locales et de leur propre vision de développement. Candidat malheureux aux sénatoriales du Nord, au début des années 90s, il misait désormais énormément sur une jeunesse cultivée et imbue de la philosophie, de la culture et de l’histoire pour rompre avec le cercle vicieux de la politique traditionnelle de dépendance vis à vis à l’étranger, ce qui l’a conduit à l’aventure d’INUJED.

Dantès Louis Bellegarde né en 1877, Roger Gaillard, Michel Hector eux nés sous l’occupation américaine et tant d’autres ont également laissé des mises en garde aux prochaines générations. Aujourd’hui, on semble oublier que les turbulences enregistrées entre les gouvernements Zamor, Théodore et Guillaume Sam ont été des prétextes pour que des « troupes de maintien de la paix » de Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne interviennent à Port-au-Prince dès 1914. Le Cap-Haïtien, jadis Cap-Français a vu des troupes françaises de maintien de la paix se déployer en juin 1915, suivies des troupes américaines commandées par le capitaine George Van Orden pour « maintenir l’ordre » le 9 juillet 1915. Tout comme la mémoire collective a semble-t-il oublié que l’amiral Caperton avait obtenu la dissolution du Parlement Haïtien en juin 1917 et qu’une nouvelle constitution avait été approuvée à 99.2% lors d’un « plébiscite » le 18 juin 1918.

De tous les enseignements que je garderai de cette «génération de l’occupation» , ayant vécu pendant 1915-1934 ou ayant grandi juste après cette période, je retiendrai leur mise en garde contre l’ignorance de l’histoire qui représente une condamnation à perpétuité à revivre les errements du passé. Habitée par le sentiment national et les idéaux de souveraineté, cette génération a produit une riche littérature de la résistance et du dépassement.

Aujourd’hui, qu’en est-il du sursaut national de la « génération de l’intervention » des Nations-Unies? Que reste-t-il du sentiment patriotique d’avant ? En dépit de tout, tous les espoirs sont permis, pourvu qu’on ne soit pas réduit à guetter le moindre tweet international qui décidera du sort des 12 millions dont les parents avaient exporté, il y a à peine deux siècles, les idéaux de « Liberté et Egalité » sur le continent. Un grand défi d’intelligence collective attend cette génération qui a la mission de retrouver une souveraineté politique et économique, une fois de plus compromise.

Plus que jamais, le cours d’éducation à la citoyenneté du nouveau secondaire et le renouvellement de l’enseignement de l’histoire restent des urgences pour former une nouvelle génération de citoyens avisés et conscients. Avec cette succession de missions militaires et civiles onusiennes, ceux qui ont 25 ans n’ont pas encore vécu dans un pays réellement souverain et c’est la question à laquelle les élites actuelles doivent répondre, car comme en 1915, elles ne sont pas parvenues à se mettre d’accord pour concevoir et construire un État moderne et solidaire, en dépit des promesses du post-1986.

Il est donc venu le temps de la deuxième république.

Cap-Haïtien, 13 février 2021.

Nesmy Manigat

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