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Opinion

Droit d’ingérence:une interprétation erronée de certains acteurs politiques haïtiens

HOMICIDE, PARRICIDE, INFANTICIDE, FEMINICIDE…

En réalité, le devoir et le droit d’ingérence sont deux concepts différents, parfois utilisés l’un pour l’autre dans un contexte de polarisation politique. Mais, en réalité, chacun a une histoire qui le charrie.

D’abord, le devoir d’ingérence, c’est l’obligation morale faite à un État ou une organisation internationale de fournir son assistance à un État en cas d’urgence humanitaire (lexique, OMP). L’exemple type que nous avons en tête est le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Au nom de ce principe, plusieurs États, parmi lesquels la République dominicaine, les États-Unis et la France ont été les premiers à fouler le sol haïtien pour porter assistance aux victimes.

Par la suite, on n’y trouve certaines ONG et organisations internationales, dont l’ONU. Devant l’ampleur de cette catastrophe, la souveraineté nationale devient assujettie au devoir d’ingérence internationale. Sans cette situation de fait, l’intervention de ces États considérerait comme une agression.

Le droit d’ingérence quant à lui, « c’est la reconnaissance du droit d’un État de violer la souveraineté nationale d’un autre État, en cas de violation massive des droits humains » (Ibid., OMP). L’un des cas empiriques qu’on pourrait évoquer en ce sens est l’intervention de l’OTAN dans les Balkans pour déloger Slobodan Milosevic dans le conflit opposant les Serbes, les Albanais et Kosovars, etc. Aujourd’hui, ce concept brise sa définition classique pour s’imposer dans le milieu humanitaire comme un principe phare des interventions des ONG dans des États. De nos jours, au lieu de parler de droit d’ingérence, on parle de préférence de devoir d’assistance à peuple en danger.

L’ingérence pour sa part, « est une intervention non désirée dans les affaires d’autrui » (Boudreau et coll. 2016). Elle peut être individuelle, politique, économique, culturelle, etc. Elle est contraire au principe de la souveraineté et de la non-intervention dans les affaires internes. Toutefois, cette pratique existe depuis longtemps dans les relations internationales. Les grandes puissances de la planète l’ont utilisée fréquemment au nom du terrorisme et des droits des humains pour envahir certains petits pays afin de satisfaire leurs intérêts nationaux. C’est le cas des États-Unis en 2003, qui ont invoqué « la légitime défense préventive » pour intervenir en Iraq, alors ce soi-disant principe n’existe même pas en droit international.

Toutefois, il est important de mentionner que ces principes ne font pas l’unanimité au sein du monde académique et ne font pas partie aussi du droit international humanitaire. Ils trouvent leur fondement dans la doctrine et la pratique des politiques internationales. Aujourd’hui, il est difficile de parler de devoir d’ingérence, droit d’ingérence et politique d’ingérence sans faire allusion à un autre principe clé du monde humanitaire qui est la responsabilité de protéger (R2P) ou devoir de protection.

Apparu pour la première fois en 2001 dans le rapport de Brahimi sur les opérations de maintien de la paix, puis renforcé par Koffi Annan en 2005, sur la réforme de l’ONU, ce principe est devenu aujourd’hui le fer de lance des grandes puissances pour attaquer les petits pays qui ne veulent pas se plier à leur dictat. La R2P est définie comme « une norme internationale selon laquelle la responsabilité de protéger les populations civiles du génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du nettoyage ethnique incombe d’abord aux États, mais aussi à la communauté internationale lorsque ces États ou gouvernements manquent à leur devoir de protection envers leurs propres populations » (Agnès, Gautier, 2013).

En vertu de ces principes, peut-on parler de droit d’ingérence, de devoir d’ingérence, ou la politique d’ingérence de la communauté internationale en Haïti? La réponse est oui et non.

Effectivement, depuis 1994, Haïti est sous l’occupation de l’ONU et est considérée comme une menace pour la paix et la sécurité internationale. Elle a été jusqu’à 2017 sous l’égide du chapitre VII de la Charte. Cette logique de menace et de sécurité a été renforcée par la deuxième intervention militaire de 2004 et le tremblement de terre du 12 janvier 2010.

En effet, lorsqu’on est dans une situation humanitaire aussi grave, le principe du devoir d’assistance tient en état le principe de la souveraineté. Haïti n’est plus un État souverain, elle devient un État assisté et un État failli (failed state) depuis 2004. Elle n’est plus en mesure de résoudre toute seule ses besoins les plus fondamentaux. Quand on est dans une telle situation, selon la logique de la politique internationale, l’ingérence devient la norme. De ce fait, le principe de la non-intervention dans les affaires d’autrui qui est consacré par la Charte de l’ONU dans son article 2 est suspendu.

N’importe quel concierge ou commis administratif au département d’État des États-Unis, au bureau de l’ONU à New-York, à l’OEA ou à l’Union européenne ou nom de M. X ou de Mme Y peut intervenir dans votre politique interne pour passer des ordres. C’est ce que nous sommes en train de vivre actuellement. C’est une réalité que tous les Haïtiens devraient savoir. Vous n’êtes plus libre politiquement. Depuis 1994, aucune décision politique importante ne peut prendre dans ce pays, sans l’accord de la communauté internationale. C’est de la real politik, comme a dit Battistella.

La deuxième réponse est relativement négative, puisque depuis l’effondrement du régime despotique des Duvalier en 1986, Haïti est théoriquement entrée dans l’ère démocratique. Cela implique qu’elle devrait jouir de la solidarité de tous les États démocratiques du monde, suivant la maxime « la sécurité d’un État incombe à la sécurité de tous les États et réversiblement ». En fait, ce que les nationalistes haïtiens appellent « l’ingérence internationale » actuellement, pourrait être considérée d’après cette logique, comme la solidarité internationale.

Les trois exemples récents qu’on pourrait évoquer ici sont les déclarations du Core Group et du secrétaire général de l’OEA (Luis Almagro) sur le mandat de Jovenel Moise ainsi que celle de l’Union européenne sur les conditions requises pour le déblocage des fonds en faveur d’Haïti. Aussi intéressée que ces trois déclarations puissent paraitre, les acteurs politiques haïtiens au lieu de s’unir d’une seule voix pour les rejeter, sont plutôt entrés dans un concert de klaxon avec des positions différentes. Si du côté du pouvoir, les deux premières déclarations semblent faire leur affaire, pour l’opposition, c’est de la pire ingérence. Un ami, dans un billet spécial, a même évoqué la « suprématie du droit d’ingérence sur le droit national ».

À mon humble avis, parler du droit d’ingérence ou de la politique d’ingérence dans la politique actuelle, c’est d’ignorer le contexte dans lequel les dirigeants haïtiens ont accédé au pouvoir depuis les élections du 21 mai 2000. C’est aussi ignorer le contexte dans lequel Michel Martelly et Jovenel sont arrivés au pouvoir. De qui sont-ils devenus présidents d’Haïti? Du peuple haïtien ou de la communauté internationale à travers le Core group? Si c’est du peuple haïtien, vous auriez le droit d’être indigné des agissements de certains ambassadeurs à Port-au-Prince, du manquement du secrétaire général de l’OEA et des officiels de l’ONU en Haïti.

Mais si c’est du département d’État des États-Unis et du Core group, pourquoi êtes-vous indignés? Il ne faut jamais oublier ces deux principes élémentaires dans les relations internationales : ceux qui financent, commandent. Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que ceux et celles qui garantissent leurs intérêts nationaux.

Le pire de toutes les élections qu’Haïti n’a jamais connues depuis 1986 est celui de 2010, où un candidat qui était en troisième position dans les résultats officiels du CEP, est devenu président de la République avec la complicité de l’OEA et du département d’État des États-Unis. Le résultat de ce Hold up était déjà connu d’avance : faire de ce pays un État paria international pour continuer à payer ce qu’il avait fait en 1804; détourner les 9 milliards de dollars US promis par la communauté internationale après le tremblement de terre du 12 janvier 2010; donner le droit d’extraction à certaines firmes et amis pour exploiter les richesses du sous-sol haïtien; dilapider les fonds vénézuéliens destinés au développement du pays, etc.

Ce complot international trouve son essence dans la politique « diviser pour régner » qui a été initiée par les soi-disant amis d’Haïti dans une seule perspective de tirer bénéfice. Il ne faut pas aussi oublier que la majorité des politiciens et politiciennes haïtiens ont le même patron, l’Oncle Sam. Qu’il s’agisse en fait, des dirigeants au pouvoir et ceux de l’opposition. C’est du clientéliste politique international. Ils s’entredéchirent entre eux quand le patron le veut, et s’entendent quand le patron le désire.

L’exemple type que je pourrais donner est celui du pays verrouillé (locked country) au cours de ces deux années précédentes. À chaque instant que l’opposition voulait vraiment renverser ce régime, elle a reçu des appels de Washington pour venir expliquer au boss ses stratégies de remplacement de Jovenel Moise. Malgré la déférence dont faisait montre l’opposition et les possibilités d’avantages offertes au patron, celui-ci n’était pas convaincu. Fatigué d’entendre toujours les mêmes revendications, le patron a finalement tranché, en conservant le client le plus docile et généreux. Il a menacé du même coup les réfractaires à des peines très sévères, s’ils continuent dans leur démarche qui mettrait en péril ses intérêts. Ces menaces vont jusqu’à la coupe des visas, le blocage des avoirs à l’étranger, l’inscription des noms sur la liste des terroristes internationaux, etc. Pour ne pas perdre ces avantages, le client (l’opposition) est obligé de se plier aux désidératas du chef pour ne pas subir sa fureur.

Voilà comment la politique se fait dans notre pays. Malgré tout, le plus grand complot dans tout cela, c’est de tenir ce pays dans une pauvreté abjecte pour continuer de l’humilier sur la scène internationale, afin de montrer au monde entier, que ce premier État créé par les noirs n’est rien d’autre qu’une République bananière. C’est ce même complot qui a été ourdi après l’indépendance en 1804, pour faire de ce pays un État paria qui vit de la mendicité internationale. Aujourd’hui, ce rêve est réalisé avec PHTK au pouvoir depuis dix ans.

Haïti ne peut même préparer un budget annuel sans la dictée des institutions de Breton Wood. Cette loi de finances qui devrait être une bouffée d’oxygène pour que les Haïtiens puissent respirer en cette période crise, devient de préférence un virus dans leur gorge qui les étouffe. Ce budget devient définitivement un moyen légal pour que les prédateurs nationaux et internationaux puissent dévorer les maigres ressources financières qui nous restent dans ce pays. Voilà pourquoi, l’Union européenne nous a humiliés avec les 150 millions euros qui ne représentent rien dans les statistiques des dépenses internationales contre la Covid-19.

En résumé, parler de devoir ou droit d’ingérence dans la politique actuelle, c’est d’appliquer de manière aveugle les notes instrumentales d’une répétition qui n’aurait pas dû avoir de cacophonie. En effet, l’ingérence internationale dans les affaires internes du pays ne commence pas d’aujourd’hui. C’est un long processus qui a commencé depuis plus d’un siècle sous le gouvernement de Tirésias Simon Sam et est renforcé avec l’occupation américaine en 1915.

Cette ingérence que nous sommes en train de vivre actuellement dans ce pays, ce n’est ni le devoir ni le droit d’ingérence, puisqu’il n’existe pas dans ce pays de nettoyage ethnique, de crimes de génocide, de crimes d’agression et de « crimes contre l’humanité », mais de préférence une forme de colonialisme déguisé qui considère Haïti comme colonie. Alors que ce pays est le premier au monde qui a pu renverser cet ordre international colonialiste, esclavagiste et ségrégationniste.

Les États-Unis surtout, dans cette politique d’humiliation, considèrent Haïti comme son « arrière-cour », comme a dit Galeano Eduardo. Depuis le tremblement de terre du 12 janvier, en passant par la crise du choléra pour arriver la faillite de l’État, ce pays se trouve dans une posture même ses obligations régaliennes qu’il ne peut assumer. Le droit et devoir d’ingérence qui sont des exceptions dans le droit international deviennent des règles de coopération pour Haïti.

Maximot Saintima
Diplômé en science politique (relation international)
À l’Université du Québec à Montréal
Étudiant à la maitrise en droit international et politique internationale

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