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Opinion

Entre le tâtonnement et le pragmatisme, Ariel Henry : un animal politique ou un Prince?

HOMICIDE, PARRICIDE, INFANTICIDE, FEMINICIDE…
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Après des mois de tergiversation, de tâtonnement, d’incertitude et d’imbroglio politiques, le premier ministre Ariel Henry sort de son inconfortabilité politique en arrivant à constituer un gouvernement représentatif issu de différentes tendances du milieu politique haïtien, avec des figures de proue de l’opposition. L’approbation du nouveau cabinet ministériel par la formule d’exception 5/9 est une preuve de connaissance du pouvoir politique haïtien. C’est un coup fatal porté aux jovenelistes qui pensaient bloquer la formation du gouvernement. À la fois médecin et homme politique, Ariel Henry est-il sur le point de concrétiser la stratégie du Prince de Machiavel ou l’Animal politique d’Aristote pour sortir le pays du bourbier politique dans lequel il se trouve depuis l’assassinat de Jovenel Moise?

À la lumière de la science politique, et surtout, de deux auteurs classiques : Machiavel la (Renaissance) et Aristote (l’Antiquité), nous allons analyser ce nouveau fait politique, qui, désormais, fait partie du patrimoine historique haïtien.

Nicolas Machiavel, dans son fameux opuscule, « Le Prince » dédié à Laurent de Médicis, maître de la Cité-État de Florence, a exposé clairement sa vision de la gestion de l’État et des relations internationales. Selon lui, la Cité (l’État) doit dénuer de toute préoccupation religieuse et morale, et doit se consacrer essentiellement au triomphe du plus fort, qui « est le fait essentiel de l’histoire humaine ». Pour machiavel, le désir de conquérir le pouvoir est une « chose naturelle et ordinaire », et tout État doit s’efforcer d’étendre ses possessions. Selon lui, Le Prince (le chef de l’État), dans notre cas, le chef du gouvernement doit s’inspirer de la ruse du renard (la diplomatie) et de la force du lion (la puissance militaire) pour conserver le pouvoir. D’après Machiavel, l’infidélité aux engagements pris n’est qu’une nécessité pratique pour celui qui gouverne la cité. C’est dans cet esprit qu’il a affirmé que « la fin justifie les moyens ».

Il a écrit : « Un prince doit savoir combattre en homme et en bête. Il doit se faire une réputation de bonté, de clémence, de pitié, de loyauté, et de justice. Il doit d’ailleurs avoir toutes ces bonnes qualités, mais rester maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient. Un prince nouveau ne peut exercer impunément toutes les vertus de l’homme moyen parce que l’intérêt de sa conservation l’oblige souvent à violer les lois de l’humanité, de la loyauté […] » (Le Prince, chapitre VIII).

Ariel Henry, a-t-il appliqué la stratégie du Prince pour sortir de ce bourbier politique? A-t-il gagné le combat politique macabre après le replâtrage du cabinet ministériel? À vous d’en juger. L’avenir dira le reste.

Aristote de son côté, dans L’Éthique à Nicomaque au livre XI, a établi six formes de gouvernement : trois formes correctes et trois formes déviées. Il pose la question, « qui gouverne ?». À partir de cette interrogation, il a procédé à une décantation des régimes politiques. Selon lui, lorsque des régimes agissent dans l’intérêt commun de la cité, on a affaire aux formes correctes de gouvernement (la monarchie, l’aristocratie et la « Politeïa »). Mais, lorsqu’ils agissent dans l’intérêt des gouvernants, on est en présence de trois formes déviées (la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie). En effet, pour Aristote, la démocratie est une déviation et même un danger, pour lequel, il propose un remède. Ce remède est la « Politeïa », qui, selon lui, est la forme légitime du bon gouvernement.

Pour Aristote la science des régimes politiques est un gymnase où les entraîneurs viennent entraîner leur équipe. Un bon entraîneur ne doit pas se soucier seulement du gymnase idéal, mais de tous les gymnases, puisqu’ils ne sont pas pareils. Certains ont des points forts et d’autres des points faibles. De même, celui qui s’intéresse à la science politique doit savoir qu’il a devant lui des régimes imparfaits. Il appartient aux hommes politiques d’examiner le meilleur des régimes applicables, mais également, aux autres formes de régimes qui seront adaptés aux différentes conditions historiques de la cité. Pour Aristote, au lieu de se laisser distraire sur l’implémentation du meilleur régime politique, il est préférable de procéder à des accommodements politiques, qui puissent donner naissance à un nouveau régime et porte les citoyens à s’y adhérer facilement.

Aristote souligne l’existence de deux grandes formes de gouvernement : la forme où un petit nombre dirige (les privilégiés) et la forme où le plus grand nombre dirige (la démocratie). Ce sont ces deux parties les plus reconnues et les plus universelles de la cité. Cependant, Aristote croit qu’il existe une autre partie dans la cité qui joue un rôle extrêmement important, « l’élément moyen ». Cet élément moyen est la « Politeïa » ou le gouvernement mixte. C’est un mélange d’oligarchie, d’aristocratie et de démocratie. C’est un régime, qui d’après lui, fonctionne et peut apporter des réponses aux conflits opposant les différentes fractions de la cité. Pour Aristote, la « Politeïa » est « la marque d’une politique bien mélangée que l’on puisse en parler différemment, comme étant à la fois d’une démocratie ou d’une oligarchie, un régime politique qui commande l’allégeance non seulement d’une majorité, mais aussi de la plupart des groupes de la cité ». Donc, sa représentation est totale à cause de ses caractéristiques oligarchiques et démocratiques.

Pour Aristote, il ne suffit pas d’identifier le régime mixte comme étant le meilleur ou le plus acceptable, mais il faut en faire un mode de vie pour la cité tout entière. Son objectif principal, c’est de concilier les intérêts des différents groupes au-delà des différences politiques, économiques et idéologiques qui nourrissent l’instabilité. C’est d’atténuer les conflits entre les riches et les pauvres. Il soutient que « Ceux qui possèdent une quantité moyenne de biens, sont plus enclin à se comporter de manière raisonnablement que ceux qui sont extrêmement riches ou extrêmement pauvres ».

Aristote a en effet contredit Platon, en soutenant qu’un homme supposé, à la fois scientifiquement compétent, moralement excellent et physiquement fort, « l’homme royal ou le philosophe roi », a toujours tendance à ne pas se soumettre à la loi, puisqu’il s’est considéré comme la loi. Il affirme que l’homme universellement compétent, qui est capable dans tous les domaines, est une illusion ou une usurpation. Il vaut mieux qu’une somme de compétences partielles réunies dans une instance collective, comme l’assemblée du peuple pour prendre des décisions. Selon Aristote, une grande quantité d’eau est appelée à être moins sale qu’une petite quantité ; de même, une grande masse de citoyens est appelée à être moins corrompue qu’un petit nombre.

D’après Aristote, les affaires humaines sont trop complexes pour être soumises au déterminisme multiple et concurrent. Elles sont beaucoup trop liées à la liberté de comportement de la personne, pour une analyse complète et exhaustive de la réalité humaine. Il est impossible, selon lui, d’avoir des individus qui possèdent des compétences complètes et totales pour gérer la cité. La prétention à la scientificité ne peut que conduire à une dictature du rationnel. Il faut préférer les médiations plus larges de l’opinion. La médiation implique « la Politeïa » et signifie la conciliation, le compromis et l’accommodement. La politique, pour Aristote, est une affaire de jugement. Le jugement se réalise au terme de délibération. Tout ce qui relève des affaires de la cité et humaines peut faire l’objet de délibération. Il n’existe pas de vérité absolue qui s’impose de lui-même, il y a seulement des degrés de justification de telle position. D’où l’importance de comprendre la politique comme une affaire de jugement, non pas une affaire de vérité.

En somme, le juste milieu, c’est là, en effet, l’élément moyen joue un rôle prépondérant. Cette voix moyenne, de discussion, de compromis, d’arrangement, d’accommodement, etc., est un sommet, puisqu’il est la médiane entre les deux extrêmes. Il est l’avènement de l’ordre des possibles. Il est le sommet parce qu’il représente l’ordre politique qui permet le développement de l’amitié collective du vivre ensemble. Cet élément moyen représente le fondement même de la cité véritable par rapport aux groupes privés. C’est en ce sens que le gouvernement du milieu, la « Politeïa », est la plus excellente constitution pour Aristote. Non pas parce qu’elle ouvre et maintient le système ouvert, mais parce qu’elle est le milieu, le dialogue, l’expérience partagée, l’échange, la discussion et celui des aspirations communes. En dehors de cet élément moyen, soutient Aristote, « la vie humaine serait réduite à la solitude et semblable à celle des bêtes qui cherchent à survivre ». C’est en sens que « l’homme est par nature un animal politique » puisque la cité lui permet de développer ses aspirations qui vont au-delà du strict minimum, comme la famille, le clan et la tribu.

Enfin, selon nous, en inventant la formule magique 5/9 pour monter ce nouveau gouvernement et en faisant entrer dans le cabinet ministériel des personnalités connues de l’ancienne opposition politique, Ariel Henry sort intelligemment d’imbroglio politique pour s’imposer en un vrai animal politique. Il a porté en même temps, un coup fatal aux jovenelistes extrêmes, qui pensaient bloquer ce replâtrage gouvernemental. Il a réussi à faire ce que le président Jovenel Moise n’arrive pas à faire pendant plus de quatre ans. Suivant cette logique, si Ariel Henry reste ouvert au dialogue, en continuant de discuter avec tous les secteurs vitaux de la nation pour trouver un consensus beaucoup plus large ; s’il arrive à monter un CEP avec des personnalités crédibles de la société; s’il trouve l’adhésion nécessaire pour organiser le référendum qui devra accoucher la nouvelle constitution ; s’il arrive à mettre en déroute les différents groupes armés du pays, pour que les gens puissent circuler librement ; s’il parvient à organiser des élections générales inclusives, Ariel Henry est sur le point de décrocher le titre de l’animal politique que beaucoup de gens utilisent à tort ou à raison dans la société. Seul le temps sera son adversaire.

« Pour mériter l’estime, il n’est pas indispensable d’avoir fait de grandes choses, il suffit de les avoir tentées » (Edgar la Selve).

Entre le tâtonnement et le pragmatisme, Ariel Henry : un animal politique ou un Prince?

Maximot Saintima
Politogue et juriste, spécialiste en relation internationale et Droit international.

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Haïti: l’essentiel de l’actualité du dimanche 28 novembre 2021

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