Connect with us

Hi, what are you looking for?

Environnement

EXCLUSIF: Massacre d’un bébé lamantin, espèce protégée et en extinction, à Grand Boucan

Après le massacre des tortues, c’est un lamantin des Caraïbes qui a été capturé mardi par des pêcheurs de Grand Boucan, dans le département des Nippes.  Torturé et mutilé à coups de machettes pendant des heures, il est mort mercredi 11 septembre 2019. Une double tragédie car ce mammifère était un bébé femelle âgée de 2 à 3 ans, à peine sevrée par sa mère ; de plus, cet éléphant de mers, classé vulnérable dans la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), avait disparu d’Haïti. 

 « En tant que technicienne, ce qui s’est passé est une véritable tristesse parce que le lamantin a toujours été classé comme espèce éteinte en Haïti ; donc la présence d’un lamantin dans nos eaux était un évènement, tant pour la biodiversité marine haïtienne que pour la région des Caraïbes », regrette Alexandra Pierre, fonctionnaire du Ministère de l’Environnement, Spécialiste en eau, environnement et éducation au développement durable, M. Sc. 

 En effet, mammifère marin emblématique de la mer des Caraïbes et du golfe du Mexique, le lamantin a disparu de la Guadeloupe et de la Martinique au début du XXe siècle. Cette espèce menacée fait l’objet d’un programme de réintroduction porté par le parc national de Guadeloupe.

Aussi, lorsque Alexandra Pierre a appris qu’un lamantin avait été capturé à Grand Boucan, au prime abord, «  j’avais pris cela comme une bonne nouvelle car, vu que c’était un bébé, cela pouvait supposer la présence des parents dans les parages. Cela signalait aussi la possible existence d’une petite population de lamantins aux environs de la rivière de Baradères », une petite commune située dans le département des Nippes. Mais Alexandra Pierre a vite désenchanté lorsqu’elle a appris que « ce mammifère marin a été mutilé et découpé car c’est un gros animal. Certains peuvent atteindre entre 600 et 1500 kg et vivre entre 50 à 60 ans », précise-t-elle. «  Ce sont des animaux très doux et très sociaux – un peu comme les dauphins dont le Ministère de l’Environnement avait appelé dernièrement à protéger. ». Mesurant jusqu’à 5 m de long, le lamantin des Antilles se reproduit par un petit unique après une gestation de 12 à 14 mois. Ce gros mammifère herbivore préfère vivre aux embouchures, dans les milieux saumâtres au confluent des rivières et des mers.

La nouvelle de sa capture dans la baie de Baradères a été relayée par les pêcheurs membres de l’organisation Haiti Ocean Project, déjà sensibilisés à la sauvegarde des mammifères marins. Jamie Aquino, Présidente fondatrice de cette organisation à but non lucratif témoigne de ce qui s’est passé :

« Les pêcheurs de Grand Boucan ont vu le bébé lamantin nager près du rivage et ils l’ont attrapé. Un pêcheur du nom de Manno de l’Anse a Veau, qui travaille avec nous et est un pêcheur de requins devenu conservateur de la nature, a reçu un appel d’un pêcheur qu’il connaissait à Grand Boucan. Selon les dires de ce dernier, ils avaient capturé une espèce marine d’une apparence inhabituelle. Une vidéo nous a confirmé qu’il s’agissait d’un lamantin juvénile, même si cette nuit-là, nous n’étions même pas sûrs qu’il était en vie. Le lendemain matin, M. Manno s’est rendu à Grand Boucan pour voir le lamantin et nous a confirmé qu’il était toujours en vie. Il avait une corde attachée autour de sa queue et avait été gardé près du rivage toute la soirée. Nous avons donc décidé d’essayer de le sauver, mais nous devions l’éloigner de Grand Boucan. M. Manno nous a amené le lamantin à Petite Rivière de Nippes le même jour et nous avons évalué les blessures, qui étaient considérables. Le lamantin avait de profondes coupures au visage, aux nageoires, au corps, à la queue et aux yeux. Il était très faible et ne respirait pas bien. Avec les conseils d’experts du lamantin de Floride et de Porto Rico, nous avons fait de notre mieux, mais les blessures de ce lamantin étaient trop importantes. Il est mort la nuit dernière! », explique Jamie Aquino qui ne cache pas sa frustration. « Je me sens triste, en colère, émue et bouleversée par la perte de ce mammifère marin en danger et de grande valeur. Il est rare que l’observation d’un lamantin dans les eaux d’Haïti ait été confirmée, car il a même été dit que l’espèce était éteinte dans le pays. L’effort pour le sauver était donc essentiel. Il n’est pas surprenant que cela se soit passé à Grand Boucan, un village de pêcheurs de la baie de Baradères, sur lequel nous portons notre attention depuis des années. C’est un village où ils tuent jusqu’à un millier de tortues de mer par mois au plus fort de la saison des tortues de mer, et cela depuis des décennies ».

Cette découverte revêt d’une importance capitale pour la conservation de la biodiversité marine, tant pour Haiti que pour le monde ou un million d’espèces sont menacées d’extinction, selon l’ONU  En mai dernier, un groupe d’experts sur la biodiversité alertaient sur la nécessité de changer les comportements de l’homme pour sauver les espèces en danger. «Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier», avait décrit le scientifique Robert Watson. Mais en Haïti, la santé et la qualité de la vie des Haïtiens ne concernent pas les dirigeants, voire pour des animaux ! Malgré l’intervention immédiate du ministre de l’Environnement qui se trouve actuellement à la Conférence des Parties de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification à New Delhi, en Inde ; certains ont manqué à l’appel, comme Jeantel Joseph, Directeur de l’Agence nationale des aires protégées (ANAP). Contacté dans le cadre de cette tragédie qui s’est déroulée dans une aire marine supposée être protégée, il n’a jamais retourné notre appel. Pourtant, son intervention et ses éclaircissements quant à ce qui doit être fait pour garantir la vie des espèces dans les aires marines dites protégées sont essentielles. Car, il est clair que le village de Grand Boucan est un abattoir de nos espèces marines, Notre article récent sur les 1000 tortues abattues chaque mois dans ce village, en témoigne.

Dans les vidéos ci-dessous, on peut voir la souffrance infligée aux tortues à Grand Boucan. Pendant la période de ponte, elles sont les plus vulnérables car elles doivent se rendre à la même pétiode sur la même plage pour pondre dans le sable. C’est là, qu’elles tombent entre les mains des pêcheurs prédateurs.  Quand l’État arrêtera-t-il cette boucherie ?

 

Suite à la mort du lamamtin, dès 3 heures du matin, depuis New Delhi, le ministre de l’Environnement a tout de suite réagi : « J’ai envoyé un courriel aux responsables de plusieurs institutions qui travaillent dans la zone pour que, non seulement des actions urgentes soient prises, mais pour dégager des fonds nécessaires à la protection des aires marines protégées. Je reste confiant que le MDE arrivera sous peu à freiner cette escalade de la violence contre la faune et la flore de notre pays. Mon engagement de continuer à lutter pour la protection de l’environnement est sans équivoque », nous a-t-il écrit en convoquant une réunion d’urgence à son retour en Haïti lundi. 

Quant à Alexandra Pierre, elle attribue ces horreurs à l’ignorance : «  Des programmes de sensibilisation ne suffisent pas. La population locale doit être éduquée à tous les niveaux, en éducation formelle et informelle », insiste-t-elle. Haiti Ocean Project proche des pécheurs s’efforce de le faire avec peu de moyens depuis 2007. Une action concertée entre le MDE, l’ANAP et Haiti Ocean Project serait urgente et salutaire en matière de sensibilisation et de formation.  

L’équipe de Haiti Ocean Project gère aussi un centre de sauvetage d’animaux marins à Anse-à-Veau. Cependant, pour les besoins de la recherche scientifique, des échantillons seront prélevés après l’autopsie du corps du lamantin. Il est prévu une surveillance aérienne par drone pour une investigation entière de la baie de Baradères et de ses environs, et de la péninsule sud. 

Des scientifiques du MDE sont déjà mobilisés pour une mission en octobre 2019 et un hôpital pour tortues devrait bientôt être installé sur le site de Haiti Ocean Project. Cette organisation à but non lucratif œuvrant dans les Nippes depuis 2007 s’est donnée pour mission première d’éduquer la jeunesse haïtienne à l’environnement marin, de protéger les populations de mammifères marins telles que les tortues, les requins et les raies à travers la sensibilisation communautaire, la recherche scientifique, les politiques publiques et l’écotourisme. 

A l’heure où nous allons diffuser cet article, le ministre de l’Environnement. Monsieur Joseph Jouthe, nous signale que la mère du lamantin qui a été repérée dans les environs de Grand Boucan à la recherche de son petit, n’a pas (encore) été capturée. «  Si elle reste à Baradères et aux alentours de Grand Boucan, elle se dirigera vers le piège de la mort », conclut Jamie Aquino. 

Nancy Roc 

Le 12 septembre 

Plus de contenu

Actualités

Un requin-baleine pris dans les filets de pécheurs dans la commune des Abricots, a été dépecé par la population ce matin. Ces trois dernières...