Le 3 octobre dernier, à la demande de la République dominicaine , le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est réuni d’urgence, autour de la grave crise socio-politique qui secoue Haïti. Miguel Vargas, Ministre des Affaires Étrangères dominicain a déclaré que son pays soutenait le Président Jovenel Moïse «élu démocratiquement ». Devant les membres du Conseil, il a voulu attirer « l’attention sur la responsabilité de la communauté internationale et sur la nécessité de ne pas abandonner la République d’Haïti.» Comment est perçue la crise haïtienne chez nos voisins et que craignent-ils ? Pour faire le point, Nancy Roc a interviewé le journaliste français, Jean Michel Caroit, correspondant à la retraite du journal Le Monde, qui vit à Saint Domingue.
N.Roc : Leonel Fernandez a déclaré que si les Haïtiens arrivaient à faire partir Jovenel Moise, « cela conduirait Haïti dans une phase d’ingouvernabilité chronique ». Que pensez-vous d’une telle prédiction ?
JMC: « Je laisse à Leonel Fernandez la responsabilité de ses prédictions. En fait, on pourrait parler d’ingouvernabilité depuis un certain temps déjà. Sur la dernière période et pour ne remonter qu’à 2010, après le séisme, on pourrait faire remonter « l’ingouvernabilité » aux conditions de l’élection de Michel Martelly et aux pressions internationales qui l’ont entourée. Dans cette perspective, et malgré l’acuité et l’approfondissement de la crise ces dernières semaines, Jovenel Moïse pourrait n’être considéré que comme un épiphénomène. Au fond, l’un des nombreux problèmes qui se posent aujourd’hui est de trouver un habillage institutionnel qui permettrait d’avancer vers un début de solution de la crise. C’est une question qui s’est déjà posée à plusieurs reprises depuis 1986. Il est vrai que la Constitution de 1987 ne facilite pas les choses.»
Il a également dit que l’état d’Haïti « est un grand défi pour la République dominicaine car ce pays est également menacé de ne pas avoir d’eau dans les années à venir, et tout cela a un impact sur une migration plus importante qui se diversifie vers des nations telles que Bahamas, Chili, Brésil et autres ». Quelle est votre lecture de cette déclaration?
JMC: « Cette réflexion de l’ancien président dominicain (engagé dans une dure bataille, d’abord intestine, au sein de son parti, le Parti de la libération dominicaine – PLD, pour retrouver son fauteuil présidentiel) est une lapalissade largement partagée dans la partie orientale de l’île. Pour toutes sortes de raisons – environnementales, migratoires, économiques -, la République dominicaine est évidemment le pays où la crise haïtienne a le plus de conséquences. C’est d’ailleurs pour cette raison que la République dominicaine vient de demander que le Conseil de sécurité des Nations Unies (dont elle est membre non permanent) se saisisse de la crise haïtienne.»
N.Roc: Comment est perçue l’aggravation de la crise haïtienne par le Dominicain de la rue ?
JMC: « Les médias dominicains suivent de près les soubresauts de la crise haïtienne et la population sait que la situation s’aggrave de l’autre côté de la frontière. L’une des craintes évoquée par plusieurs commentateurs est l’afflux massif de migrants si la crise humanitaire s’approfondit. Chaque fois que des manifestations violentes ont lieu en Haïti, les autorités dominicaines annoncent un renforcement du dispositif à la frontière. Le dossier migratoire, sans nul doute le plus épineux de la relation bilatérale, ne pourra être abordé de manière constructive et sereine, sur le long terme, tant qu’Haïti ne surmontera pas la crise et ne disposera pas d’un gouvernement capable de négocier.»
« Une dernière mise au point par rapport aux rumeurs qui ont circulé récemment en Haïti : personne en République dominicaine ne songe à envahir Haïti. Le renforcement du dispositif militaire à la frontière vise à empêcher un éventuel afflux de réfugiés. Les Dominicains sont entrés en pré-campagne électorale (pour les élections qui auront lieu l’an prochain) et s’inquiètent d’un ralentissement de la croissance économique. Mais nul n’évoque une invasion d’Haïti.»
Interview Nancy Roc