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« Nous avons besoin de compassion et d’amour en Haïti », déclare l’Ati national

ATI NASYONAL

Lorsque j’ai fait la connaissance de l’Ati national il y a des décennies, on l’appelait Carl-Henry Desmornes. Passionné de musique – et il l’est encore – il était à l’époque le PDG de Radio Planèt Kreyòl et riait tout le temps. Alors que je vais à la rencontre du 3ème Ati national, je le trouve beaucoup plus préoccupé, comme si les problèmes du pays et l’âge, avaient creusé des sillons sur son visage. Il m’accueille toutefois d’un grand sourire dans l’espace qui sera bientôt son bureau à Pacot. Habillé tout de blanc, il tient à la main un bâton noir arborant des Veves rouges et un foulard de la même couleur. Ce bâton mystique est le symbole de son pouvoir : il est en effet, depuis le 13 mai 2019, le chef suprême du vaudou en Haïti, notre Ati national.

Un drame déclenche une nouvelle vie

Comment un homme qui a reçu une éducation purement catholique, choisit-il de devenir vodouisant ? « Comme la majorité des enfants de la classe moyenne, j’ai eu une éducation catholique. J’ai fait toutes mes études classiques chez les Frères de l’instruction chrétienne. Bref, j’étais un pur produit chrétien », dit-il. Puis il ajoute : « comme tous les enfants de la classe moyenne, j’ai été aussi complètement isolé de la réalité de la majorité haïtienne et surtout des affaires du pays. » Mais un après-midi de janvier 1998, sa vie va basculer : une tentative de vol, organisée par des jeunes, va ôter la vie à son épouse et cela « m’a brusquement plongé dans un monde inconnu. Après beaucoup de réflexions, j’ai fait le choix avec la famille de m’impliquer dans la vie nationale.» 

A partir de ce moment-là, il dit avoir commencé réellement à regarder autour de lui et à essayer de comprendre comment les gens vivaient. «  À l’époque la plupart des gens ne se préoccupaient que de leurs affaires, de leur vie, on ne regardait pas vraiment autour de soi et il ne fallait pas s’occuper de la politique », poursuit-il. C’est par la suite qu’il a essayé de comprendre les événements qui se déroulaient en Haïti et pourquoi cela aboutissait à autant de délinquance. « La conclusion que j’en ai tirée est très simple : tout le monde a droit à un peu de bonheur. S’il est vrai qu’il y a des pauvres et des riches partout dans le monde, il faut que les pauvres aient au moins l’espoir qu’un jour cela change, que leur sort puisse s’améliorer. Il faut donc que nous tous cherchions à perpétuer cet espoir, parce que lorsque ce dernier s’évanouit, c’est à ce moment-là que commence la délinquance », croit l’Ati national. 

Il me dit ne pas avoir choisi le vodou : « c’est le vodou qui m’a choisi ! », s’exclame-t-il. Il avoue qu’il se posait beaucoup de questions sur la vie et c’est le vodou qui lui a apporté les réponses qui le satisfaisaient. Pour lui, «  le vodou ne se pratique pas, il se vit. »

Le secteur vodou au chevet de l’environnement ?

Photo Diana Bagnoli- Geo

Avant son intronisation, Carl Henry Desmornes avait appelé à l’unité de la communauté des vodouisants et s’était parallèlement engagé à œuvrer à la structuration du secteur et à le rendre plus fort pour une meilleure reconnaissance dans la société. L’homme avait promis, entre autres, de faire la promotion de la protection de la nature. 

Cette année, avec un score de 33.74, Haïti occupe la 174ème place parmi 180 pays recensés dans le classement de l’Indice de performance environnementale. Haïti fait partie des 3 pays les plus vulnérables aux changements climatiques du continent américain, selon une étude réalisée par le « ND-Gain Country Index » (1) et, selon la Banque Mondiale, plus de 93 % du territoire et plus de 96 % de la population sont exposés aux catastrophes naturelles (2).

Haïti est le dernier pays au monde pour sa capacité d’adaptation aux changements climatiques (181ème place sur 181 pays). Le pays est aussi très mal classé, soit à la 176ème position, à cause notamment de la vulnérabilité de son système sanitaire public face aux changements climatiques et de la dépendance des services de santé vis-à-vis des ressources externes. Haïti est le dernier pays au monde pour sa capacité d’adaptation aux changements climatiques (181ème place sur 181 pays). Le pays est aussi très mal classé, soit à la 176ème position, à cause notamment de la vulnérabilité de son système sanitaire public face aux changements climatiques et de la dépendance des services de santé vis-à-vis des ressources externes (3). 

La tâche sera donc rude si les vodouisants veulent vraiment faire la différence dans le domaine de l’environnement. Pourtant, notre Ati national déclare : « il y a un vent d’espoir parmi les 8 millions de vodouisants sur les 12 millions d’Haïtiens ». L’Ati national  est conscient du défi à relever car, dit-il, « lorsque la présence humaine commencera à déranger l’équilibre naturel alors là nous aurons de grands problèmes que seuls les esprits plus élevés que les nôtres pourront résoudre. »

Or, ce déséquilibre existe déjà, mais dans un pays où l’on ne s’occupe que de politicaillerie, on passe perpétuellement à côté de l’essentiel : l’environnement, notre cadre de vie. Nos rues encombrées de détritus et de vermines nous le prouvent tous les jours. Le déboisement suicidaire qui se poursuit, aussi. Quant aux changements climatiques, personne ne s’en préoccupe, sauf quand il faut jouir de per diem pour se rendre dans des conférences internationales où les représentants du gouvernement parlent pour ne rien dire et n’obtiennent aucun engagement réel de la Communauté internationale.  

« Tout écosystème où il y a une présence qui n’a aucun contrôle ou une espèce qui n’a aucun contrôle est appelé à disparaître : c’est la loi de la nature », lâche l’Ati national en guise d’avertissement. « J’ai promis que je sensibiliserai le secteur vaudou pour qu’il puisse s’occuper de l’environnement car nous sommes quand même les gardiens de cette terre. Les esprits nous ont donné le pouvoir de le faire. Il nous faut donc prendre nos responsabilités », affirme-t-il. .

Selon lui, aujourd’hui, malgré la situation socio-économique désastreuse,  il y a un vent d’espoir  qui souffle parmi les 8 millions de vodouisants sur les 12 millions d’haïtiens. «  C’est une force économique remarquable et un marché économique  incontournable. C’est également le secteur vodou qui représentera la force politique et sociale la plus forte si elle s’organise », dit-il.

Dans ce sens et comme pour l’environnement, l’Ati national est en train de restructurer son secteur  « C’est comme lorsque vous héritez d’une voiture et que vous voulez tester si tout va bien et que tout fonctionne. Il faut donc nous assurer que la machine est prête, que vous l’avez bien en main et que vous la contrôler. Car nous avons de grands défis qui nous attentent et tout doit être bien huilé afin de les relever. Quant à ma plus grande préoccupation elle demeure Haïti. C’est elle qui est dans ma tête jours et nuits », déclare-t-il.

Que faire pour changer la société haïtienne ?

A ce stade de décrépitude et d’anarchie  de la société haïtienne, selon notre Ati national, toutes les couches de la société doivent jouer leur rôle. De même que son épouse a été assassinée et qu’il a essayé de comprendre les raisons derrière un tel acte brutal, alors que les jeunes coupables cherchaient au préalable à voler; il essaye de nous faire comprendre pourquoi d’autres dans les rues ces jours-ci, en plus de piller, brûlent des magasins : « C’est parce qu’ils sont déshumanisés et lorsqu’on atteint ce stade de déshumanisation, ils ne réfléchissent à rien, n’ont que faire des biens des autres ou des valeurs morales.» Pour l’Ati national, le constat est que le peuple haïtien vit mal. Or, «  aucun des groupes qui composent la société haïtienne ne remplit son rôle, c’est à se demander s’ils en sont conscients 

Paradoxalement, il cite sans le savoir l’Évangile selon saint Luc 12, 39-48 :« À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup », en insistant que, par exemple, «  si quelqu’un est très intelligent, il faut qu’il puisse partager cette intelligence avec d’autres afin de les aider; de même que si vous avez beaucoup d’argent, je ne dis pas qu’il faille tout donner, mais il faut pouvoir en donner afin d’améliorer la vie des gens plus pauvres. Plus que le partage, il nous faut de la compassion et de l’amour en Haïti », insiste-t-il, « car le partage sans amour devient simplement de la charité et de la pitiéAvec de la compassion, nous pouvons être responsables les uns des autres et ceci tant dans le monde visible que dans le monde invisible, car ce bout de terre ne nous appartient pas. »

Nancy Roc

(Interview et photos, sauf la photo de Saut d’Eau) 

[1] Haiti https://gain-new.crc.nd.edu/country/haiti

[2] La Banque mondiale en Haïti 2019

[3] Le Nouvelliste : Haïti, pays le plus vulnérable aux changements climatiques en Amérique, avril 2019.

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