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Une transition ne débouchant pas sur un nouveau système n’en serait pas une

Plus la situation en Haïti se corse, plus le pays a besoin de sa diaspora afin que, partout dans le monde, elle fasse entendre le cri du peuple haïtien et ce qui se passe ici. La diaspora à Montréal a été la première à réagir en faisant un coup d’éclat au bureau de campagne électorale du Premier ministre Justin Trudeau, le 30 septembre dernier. Le groupe de solidarité Haïti-Québec a demandé au Canada de dénoncer le régime du président Jovenel Moïse. Mais quelles sont les réelles préoccupations de cette diaspora face à la plus grave crise que le pays ait connue depuis 1986 ? Comment peut-elle agir? Pour faire le point, la journaliste indépendante Nancy Roc a interviewé le professeur titulaire, Dr Samuel Pierre de Polytechnique Montréal, qui a conçu le premier think tank haïtien, le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (GRAHN).

Nancy Roc : Comment expliquez-vous le silence de la presse canadienne autour de la tragédie qui se déroule en Haïti ?

Samuel Pierre : La presse française en parle régulièrement. La presse canadienne nettement moins. Ce silence peut s’expliquer par une forme de lassitude de la situation d’instabilité qui devient la marque de commerce du pays. Trop souvent, Haïti revient au-devant de la scène pour des raisons plutôt négatives : catastrophes naturelles ou politiques. Cela devient donc comme un état normal et la presse en général ne s’intéresse pas à ce qui est « normal ». Haïti, dans son instabilité récurrente, est devenu un non-événement qui ne suscite pas d’attention médiatique. Ce serait mon explication du peu d’intérêt porté par la presse internationale à la tragédie actuelle d’Haïti.

Nancy Roc : Mis à part le coup d’éclat de quelques compatriotes dans le bureau de Trudeau en début de semaine, la communauté haïtienne de Montréal ne s’est pas exprimée sur ce qui se passe en Haïti. Est-elle réellement préoccupée par la situation ? Comment agit-elle ?

Dr Samuel Pierre : La communauté haïtienne de Montréal, tout comme les autres communautés haïtiennes de la diaspora, est très préoccupée par ce qui se passe en Haïti. Mais, la situation est trop grave et trop complexe pour que ces communautés puissent se manifester de manière cohérente et visible. Nous avons vu des scènes de violence d’une rare intensité qui mettent en danger les vies et les biens sans en comprendre le rationnel. Pourquoi les personnes tuées l’ont été ? Pourquoi les biens détruits l’ont été ? Pourquoi ces biens là et pas d’autres ? Pourquoi détruire les biens de l’État qui appartiennent à tout le pays ? Pourquoi détruire les biens de paisibles citoyens qui ont travaillé durement pour créer le trop petit nombre d’entreprises créatrices d’emplois dont le pays a un grand besoin ?

Photo Crédit: Polytechnique de Montréal

Nous comprenons parfaitement la colère de la population qui vit dans l’un des pays les plus inégalitaires au monde et qui sombre de jour en jour dans une pauvreté absolue. Nous nous retrouvons bien dans cette lutte pour plus de dignité et de justice. Mais, nous avons du mal à comprendre cette stratégie de terreur qui conduit à l’emprisonnement des paisibles citoyens dans leur propre maison, sans eau, sans nourriture, sans électricité publique, sans essence pour la génératrice ni pour l’auto quand il faut amener à l’hôpital une personne malade qui a besoin en urgence de soins médicaux.

La communauté haïtienne de Montréal est très préoccupée par la situation qui prévaut en Haïti. Elle souffre avec le peuple haïtien de l’intérieur qui est sans relâche frappé par des calamités tantôt naturelles tantôt humaines. Elle continue de soutenir financièrement les parents et amis restés au pays et qui pourraient bientôt faire face à une crise humanitaire aigüe. Comme vous l’avez souligné, certains vont jusqu’à occuper le bureau de comté du premier ministre canadien Justin Trudeau pour exiger une prise de position claire dans la situation haïtienne. D’autres utilisent des voies plus classiques pour faire comprendre aux autorités canadiennes la gravité de la situation et les risques de guerre civile auxquels fait face Haïti présentement.

N.R : Ce n’est que maintenant que se mettent en place des commissions de sorties de crise et l’opposition n’est pas unie en ce sens. On n’entend plus parler pour le moment de la nécessité absolue de la tenue d’une conférence nationale. Ne pensez-vous pas qu’elle est incontournable pour que la société haïtienne puisse vider ses contentieux et repartir sur de nouvelles bases ? Selon vous, qui pourrait financer cette conférence ?

S.P : Lorsqu’une société est engluée dans une crise si profonde, il ne faut pas s’attendre à ce que la solution vienne seulement des antagonistes : le gouvernement et l’opposition. La société civile haïtienne regorge d’institutions et de personnalités brillantes qui peuvent également proposer des solutions pour éviter le naufrage de la barque nationale et la mise en péril de tout le pays. Haïti est aujourd’hui un pays « bloqué », dans le sens propre du terme. La seule chose qui y fonctionne, c’est la grande machine de destruction massive qui abat tout sur son passage : les vies, les biens, les affaires, l’école, les institutions républicaines, les emplois, l’espoir, la foi dans le pays, le goût d’y rester, la paix sociale, le vivre-ensemble, l’unité nationale, et j’en passe.

Ce ne sont pas seulement les limites intrinsèques de l’opposition qui m’inquiètent. Ce qui m’inquiète encore plus, c’est la difficulté pour la société civile d’émerger comme acteur dans un débat où il est pourtant le principal concerné. Pour illustrer mes propos, la grande majorité des citoyens assistent en toute impuissance à une détérioration abrupte et incontrôlable de leur quotidien qui est pris en otage par des acteurs se souciant très peu des inconvénients que leurs méfaits puissent causer à ces citoyens. En fait, nous sommes dans une situation de totale désagrégation des liens sociaux qu’il faut à tout prix recoudre pour refonder la nation.

Pour y parvenir, la conférence nationale – ou toute autre appellation alternative – devient un passage obligé. Non comme une panacée qui va résoudre tous les problèmes d’Haïti, mais comme une opération de réconciliation du pays avec lui-même, dans une démarche de dialogue constructif, une sorte d’exutoire qui permettrait de vider des contentieux historiques en se disant les vraies choses, voire même en se défoulant ; mais avec comme finalité de dessiner un projet commun de société fondée sur une plus grande justice et une citoyenneté partagée. Car, l’un des plus gros problèmes que vit le pays, c’est la grande disparité de conditions de vie entre les citoyens, laquelle constitue un handicap majeur à la cohésion sociale et à la démocratie : les Haïtiens ne sont pas égaux ni devant la loi ni devant les opportunités d’existence. Il faut donc que cette conférence nationale – ce chita pale ansanm – exploite autant que possible toutes les contributions et propositions de sortie de crise qui circulent afin d’en dégager, non seulement des points de consensus pour bien démarrer, mais aussi des points de divergences sur lesquelles porter le débat.

Qui pourrait financer cela ? C’est la mauvaise question que nous posons trop souvent en Haïti. Le projet doit venir avant le budget et son financement. Tout cela doit faire partie de la réflexion. Personnellement, j’ai réalisé plusieurs projets en Haïti et ailleurs. Dans tous les cas, je m’étais évertué en priorité à imaginer une stratégie fondée sur l’utilisation des moyens du bord pour les réaliser. Le konbitisme – cette forme de mise en commun des ressources humaines et matérielles disponibles – est encore présent dans notre culture. Oui, il est possible d’imaginer une conférence nationale pouvant être réalisée à coût non prohibitif, à condition d’être volontariste et créatif.

N.R : Le professeur Robert Fatton pense que le procès PetroCaribe ne pourra pas avoir lieu, partagez-vous ce point de vue ?

S.P : C’est son point de vue, que je respecte. Mais, je ne suis pas aussi si sûr que lui que le procès n’aura pas lieu. Car, je n’ai aucune preuve scientifique de cette impossibilité.

Dans l’histoire d’Haïti, il y a eu plusieurs cas de détournements de fonds publics qui n’ont pas donné lieu à des procès. La volonté politique faisait à chaque fois défaut. Néanmoins, le procès de la Consolidation a bien eu lieu, par la volonté politique du président d’alors, Nord Alexis. Donc, tout est une question de volonté politique et je ne peux pas conjecturer qu’elle n’existera jamais.

N.R : Comment voyez-vous une transition réaliste pour Haïti ?

S.P : Haïti a connu beaucoup de gouvernements de transition. Dans l’histoire récente, nous en avons connues en 1991, en 2004 et en 2016. C’est la manifestation d’une grande instabilité politique qui entrave le développement du pays. Les investisseurs étrangers, diaspora comprise, ont peur de venir investir en Haïti en raison de cette instabilité chronique et de ces images récurrentes de destruction de vies et de biens venant d’Haïti.

S’il doit avoir une transition en Haïti, il faudrait qu’elle en soit une de rupture. Une transition travaillant de façon prioritaire à mettre en place ou à renforcer un cadre institutionnel qui stabilise le pays afin d’éviter qu’à tous les 12 ou 13 ans on sorte du cycle constitutionnel de renouvellement de la présidence. Pour faire cela, le délai constitutionnel de 3 mois parait définitivement irréaliste. Mais, un délai trop long n’est pas non plus recommandé, puisque tout gouvernement de transition souffrira à brève échéance d’un déficit de légitimité qui ne lui permettra pas de faire face aux attentes élevées de la population. Dépendant du contenu de la feuille de route de cette transition, celle-ci ne devrait pas dépasser deux ans. Pour faire quoi essentiellement ? Pour pacifier les esprits, redonner de l’espoir, sécuriser le pays, redonner à l’État le contrôle de ses institutions et de ses sources de revenus, relancer l’économie, promouvoir l’emploi, organiser la conférence nationale, revoir la Constitution, mettre en place le Conseil électoral permanent, réaliser les prochaines élections.

Nancy Roc : Votre dernier mot ?

Samuel Pierre : Le pays est aujourd’hui à la croisée des chemins, aux prises avec un système qui n’a créé que de la pauvreté et du désarroi pour la grande majorité des citoyens et particulièrement pour sa jeunesse. Une transition qui ne débouche pas sur un nouveau système porteur de progrès et de justice, en réduisant les inégalités et la pauvreté, n’en serait pas une. Ce serait tout simplement le prolongement, par personnes interposées, du même système décadent tant décrié depuis deux siècles. Les générations présentes – gouvernement, opposition et société civile – ont pour devoir de travailler à laisser un pays viable aux générations futures. Allons-nous être à la hauteur du défi ?

Interview Nancy Roc

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