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Zombification et légitime défense

Zombification et légitime défense

Zombification et légitime défense: les autres pratiques insoupçonnées

Port-Au-Prince, Haïti.– Après mon dernier article paru en 2017 sur la zombification comme élément scientifique, il me parait opportun aujourd’hui d’ajouter quelques nuances en abordant d’autres aspects du même sujet.

Généralement, l’attention de tous se porte sur la zombification classique (voir article de l’auteure sur la zombification ou l’essor scientifique d’Haïti, le Nouvelliste, 2017) en raison des charges symboliques qu’elle charie et l’on a tendance à se fixer sur l’aspect moral et/ou juridique d’une telle pratique. A noter que la zombification fut perçue par les législateurs du XIXème siècle comme un attentat à la vie d’une personne par empoisonnement, susceptible de provoquer un état léthargique. Toutefois, dans la quotidienneté de l’haïtien, les faits et récits indiquent l’existence de deux autres types de zombification socialement et culturellement pratiqués bien que tabous. Ce sont :

  1. La zombification volontaire;
  2. La zombification domestique.

La zombification volontaire

La zombification volontaire consiste pour un individu de soustraire son «petit bon ange» (voir les explications fournies par le défunt Ati Max Beauvoir dans Le Nouvelliste, la secrète condamnation, 2008), délibérément à des fins de protection. En langage courant, l’on dit «nanm li pa sou li». Dans ce cas précis, l’individu peut recourir, de par son propre chef, à un spécialiste en la matière. Il ne présentera aucun signe de déficience physique ou mentale. Il vit sa vie sauf qu’on ne peut l’atteindre facilement en usant de maléfice. Ce type peut s’appliquer à tous indistinctement (individus normaux, malade, sorciers/malfektè etc). A noter que ce type de zombification n’est pas sans incidence sur l’individu lorsqu’il doit passer de la vie à trépas. Des rituels sont nécessaires pour faciliter sa traversée vers l’au-delà.

La zombification domestique

Contrairement à la zombification volontaire, celle dite «domestique» s’applique généralement à capter et à soustraire l’âme d’une personne, dont l’état physique s’apparente à la mort, contre ceux ayant provoqué cette illusion létale. Il revient spécifiquement aux membres de la famille de la victime de procéder à ce type de zombification qui consiste donc à protéger l’individu «défunt» ou «toudi» contre toutes les formes d’utilisation abusive qui en résulterait de la zombification classique.

Ces nuances étant établies, il revient maintenant de se questionner sur le statut juridique d’une personne ou d’une famille qui décide de pratiquer la zombification domestique si l’on part du principe que zombifier quelqu’un constitue un acte criminel pénalement et socialement réprouvé ? A noter qu’il n’existe plus aujourd’hui aucune provision légale sur le sujet.

Entre celui qui zombifie pour nuire et celui qui zombifie pour protéger, comment se positionner ? question plutôt embarassante.

Les plus audacieux plaideraient volontiers pour la légitime défense.

Zombification et légitime défense

Comment le code pénal haïtien aborde la notion de légitime défense? Les articles 273 et 274 dudit code précisent respectivement:

Il n’y a ni crime, ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui (art.273).

Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de défense, les deux cas suivants:

  1. Si l’homicide a été commis, si les blessures ont été faites, ou si les coups ont été portés en repoussant pendant la nuit l’escalade, l’effraction des clôtures, murs ou entrées d’une maison ou d’un appartement habité ou de leurs dépendances.
  2. Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs des vols ou de pillages exécutés avec violences. (art. 274)

L’analyse de quelques mots clés relevés au niveau de ces articles permettra de considérer ou non une quelconque correspondance entre les faits sous-études.

D’abord, il faut souligner ici que le principe de légitime défense, par définition, entraine une irresponsabilité pénale en cas d’agression explicitement indiqué dans l’article 274. Vient ensuite la notion de «nécessité actuelle de défense» qui sous-entend que l’action de défense ne peut être reportée mais doit se perpétrer au moment même de l’agression ou de l’infraction. Et enfin le contexte de l’infraction qui est circonscrite à une logique de vol, de pillages durant la nuit.

Maintenant, voyons les considérations pénales qui pourraient permettre d’assimiler la zombification domestique comme étant de la légitime défense.

  1. La zombification comme telle n’est plus couverte par la législation haïtienne. De plus, il n’existe aucune base doctrinale coutumière permettant de clarifier tous ses contours. Par conséquent, la notion de légitime défense ne peut être appliquée à ce cas d’espèce.
  2. La zombification domestique survient après coup. La mort physique est constatée. Et, il s’agit d’une ultime réponse contre une attaque jugée injustifiée ou encore une mesure de simple protection contre toute tentative de captation d’âme. Le principe de «nécessité actuelle de défense» ne peut s’appliquer ici. De même, la zombification classique, assimilable à un empoisonnement, requiert une expertise et des procédés subtils d’approche. Cela prend du temps.
  3. L’on ne peut pas non plus parler d’escalades nocturnes, d’effraction de clôtures ou de murs en cas de zombification (classique et/ou domestique).

Les parallèles établies prouvent qu’il est impossible de parler de légitime défense en cas de zombification domestique.

Comment donc l’appréhender?

D’emblée, je dirai que de tels cas d’espèce relevant des faits culturels et pratiques traditionnelles haïtiennes ne peuvent en aucun cas être traités à travers les prismes religieux, moraux ou juridiques occidentaux. Le Dr Jean Fils-Aimé parlerait de paradigme colonial.

Par conséquent, il faut considérer la zombification domestique comme une réaction à une action posée antérieurement. Il s’agit là d’une mouvance de force et de rapport de force dont certains dictons, entre autres, permettent de cadrer un peu les faits. Ce sont :
« Kou pou kou bondye ri »
« Baton w gen nan men w se ak li ou pare kou »
« Mgen baton nan menm pa ka kite chen vare sou mwen »

De mon point de vue, la zombification domestique, vu sous cet angle, est un procédé de neutralisation des forces de nuisances. Ici, le mot «baton» peut se référer à la notion de forces ou de connaissances. Les acteurs utilisent la même force mais en sens inverse chacun en ce qui le concerne pour neutraliser une action initiale. Il s’agit là d’un paradigme purement vodou et dont toute interprétation ou perception extérieure peut biaiser toute tentative de compréhension du jeu. Et ce qu’il faut comprendre c’est que la zombification peut être utiliser dans un sens positif ou négatif dépendamment du lieu où se situe l’acteur. L’on ne peut même pas parler de vengeance car, il s’agit d’un individu ou une famille contre un vaste réseau.

Aujourd’hui, la société haïtienne doit pouvoir se regarder dans son propre miroir ; se réapproprier et accepter son véritable reflet. «Pa gen wout pa bwa» pour relever les grands défis qui nous attendent. Déjà, la pandémie du COVID-19 interpelle à plusieurs niveaux : autonomie alimentaire, médecine conventionnelle versus médecine traditionnelle, besoins stratégiques d’Etat, nouveaux questionnements sur la mondialisation, redéfinition de certains comportements sociaux etc. Mais la plus importante en rapport avec le contexte actuel demeurent les recherches scientifiques puisque suivant les experts le virus COVID-19 a été fabriqué en laboratoire. Quid de nos « kout poud » et nos bòkô scientifiques ?

Ceci étant dit, la question antérieure demeure pendante. Entre celui qui zombifie pour nuire et celui qui zombifie pour protéger, comment se positionner?

Marie Florance JEAN PIERRE, MAP
Anthropologue, Juriste

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