Dans le processus de la zombification intervient un ensemble d’acteurs n’entretenant pas forcément des liens de réseautage mais jouant chacun leur partition chacun en ce qui le concerne. Pour bien cerner le sujet, j’ai essayé d’établir des séquences d’actions ou d’interventions de chaque acteur à travers les quatre (4) étapes qui suivent :
- L’action initiale ou action zéro;
- La zombification;
- La transition;
- La vie après la vie.
1. L’action initiale ou action zéro
Elle renvoie à l’acte déclencheur sur qui se reposera la volonté de zombifier quelqu’un. Suivant les informations véhiculées dans le milieu haïtien, plusieurs motifs suffisent pour se faire zombifier, entres autres: l’arrogance, la jalousie, les conflits terriens, l’amour, les ambitions démesurées, un acte jugé répréhensible suivant la perception de la communauté traditionnelle etc.
2. La zombification
La décision de zombifier est arrêtée. Le processus est mis en branle et la victime subit l’attaque des zombificateurs. La mort clinique est constatée.
3. La transition
La mort clinique étant constatée, l’individu est transporté à la morgue pour la préparation des funérailles. Entre-temps, au niveau familial, l’on s’active pour trouver des fonds et effectuer des dépenses appropriées pour la veillée juste avant l’enterrement. Cette phase est capitale dans la mesure où elle marque une rupture totale, une séparation nette de la victime avec le monde des vivants. C’est un passage rempli de symbolisme et de charges psychologiques, surtout si la famille de la victime soupçonne une attaque. Et c’est à ce stade que se pratique la zombification domestique.
4. La vie après la vie
La zombification est totale. La victime est récupérée et soumise à sa nouvelle vie.
Ces étapes étant décrites, mes présentes réflexions concernent l’étape de la transition d’où l’accent sera mis sur les croque-morts. Par définition simple, le dictionnaire Larousse définit un croque-mort comme un agent/employé des pompes funèbres chargé de mettre les morts en bière et de les transporter au cimetière. Forcément, il gagne un salaire et il est sujet à une carrière. Cette définition peut être prise dans le sens occidental du terme. Mais qu’en est-il dans la réalité haïtienne?
En effectuant une recherche sur le sujet, je suis tombée sur un article de Laura Louis sur Ayibopost, titré «les fascinants secrets du métier de croque-mort en Haïti». J’ai lu cet article à plusieurs reprises aux fins de comprendre le fonctionnement du métier et de déceler un quelconque lien de ces professionnels avec la zombification.
En me référant aux informations traditionnellement véhiculées dans le milieu, finalement, je suis arrivée à la conclusion que ces gens, en plus de prendre soins des cadavres, détiennent des connaissances empiriques spécifiques sur le statut des corps en observation. En effet, quelques passages de l’article cité en référence le prouvent bien.
Bénito (le croque-mort interviewé dans l’article de Laura Louis) affirme ceci : quand on nous amène un corps, nous le laissons pendant quelques heures sur une table, dans le but de voir s’il ne donnera plus aucun signe de vie… Pour cela, nous pouvons demander aux parents de rester mais nous n’avons jamais vu quelqu’un se réveiller.
À bien réfléchir, l’interviewé fait allusion ici à deux cas possibles : la zombification ou encore une situation comateuse. Cela sous-entend également que de tels cas ont été enregistrés par le passé. Etant donné l’absence quasi totale de médecin-légiste (2 pour 11 millions d’habitants) en Haïti, ces structures mortuaires ont institué des procédures coutumières pour détecter s’il y a mort naturelle ou zombification.
Et il est possible qu’il existe un protocole au niveau des morgues où le cadavre doit passer un temps d’abattement avant d’entrer dans un processus normal de conservation du corps.
Suivant des cas rapportés, avant la levée du corps, les parents peuvent demander aux croque-morts d’effectuer un diagnostic rapide. Et ces derniers peuvent en des endroits spécifiques du corps déceler si la mort est naturelle ou si l’individu est en proie à une zombification.
Plus loin, Bénito affirme qu’il existe des secrets qu’il ne peut dévoiler surtout dans la phase de l’embaumement…quand quelqu’un meurt avec les yeux et la bouche entre-ouverts, le croque-mort doit trouver un moyen de les fermer. Pour les yeux, nous avons nos secrets.
De plus, il peut pratiquer l’autopsie. Et il est précisé dans cet article que l’autopsie dont il parle n’a rien à voir avec les examens médico-légaux ou scientifiques. Les parents qui pensent que leur défunt a été frappé par un coup mystique demandent souvent l’autopsie. Une pratique qui consiste à enlever tous les organes internes pour les remplacer par du coton.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que les familles haïtiennes y compris les morgues ont pu au fil du temps inventer des procédures coutumières pour non seulement détecter un acte de zombification mais aussi pour soustraire la victime à une zombification totale. «L’autopsie» dont il est question ici participe à ce processus de neutralisation des forces de nuisances que j’ai déjà évoqué dans mon dernier article «zombification et légitime défense».
Comme je viens de le démontrer, les croque-morts haïtiens détiennent des connaissances spécifiques en lien direct avec la réalité spirituelle de la mort. Généralement, dans l’imaginaire haïtien, cette catégorie professionnelle détient un statut assez particulier et l’on entend souvent : «moun kap travay nan mòg pa ti moun piti». Ils sont à la fois craints et respectés.
Face aux carences constatées de la médecine légale en Haïti, il serait opportun que l’État puisse réguler ce secteur en créant le Corps des DONGAN. Dans ce cas précis, j’introduis un mot nouveau dans le vocabulaire local en lieu et place de croque-morts que je trouve impropre dans le contexte haïtien.
Le Dongan, une nouvelle ressource pour Haïti
Le mot DONGAN est d’origine FON (la langue la plus parlée dans le sud du Bénin) et est constitué de deux parties : le préfixe DON qui signifie l’au-delà, le royaume des morts et le suffixe GAN qui désigne le roi, le chef ou encore le maître. Donc DONGAN se traduit littéralement comme le maitre/roi/chef de l’au-delà ou encore le maître du domaine de la mort.
Loin de mes intentions de substituer les connaissances scientifiques des médecins-légistes à celles empiriques des DONGAN. Je plaide plutôt pour une collaboration des deux branches pour une prise en charge acceptable des cas suspects de zombification.
Bien mieux, munis du code de déontologie des DONGAN, ils pourraient effectuer un diagnostic sommaire et délivrer des tests négatifs ou positifs de zombification. Au cas où, le test serait négatif, cela augurerait une mort naturelle. Dans le cas contraire, le corps serait acheminé vers une structure préposée à cet effet : un Centre Spécialisé en Dézombification et de Réinsertion Sociale (CSDRS).
Ici, je plaide pour la mise en synergie et l’enrichissement des connaissances des médecins-légistes, des Dongan, des neurologues, des psychiatres, des anthropologues, des travailleurs sociaux, des zombificateurs, des techniciens de laboratoire et autres ressources humaines que ce domaine de recherche nécessiterait.
Beaucoup d’opportunités peuvent se dessiner.
D’autres champs de compétence pourrait surgir et le pays en sortirait renforcer de ces apports pour une meilleure compréhension du phénomène de zombification. Je rappelle bien ici que la médecine conventionnelle ne peut diagnostiquer à date l’état zombi d’un corps alors que les DONGAN effectueraient ce même diagnostic en un temps record suivant l’imaginaire collectif.
Sans pouvoir afficher des données statistiques sur leurs nombres et leurs répartitions sur l’ensemble du territoire national par faute de recherche sur ce milieu professionnel, ils sont présents au niveau communal et départemental si l’on tient compte de la présence des morgues privées. Par conséquent, l’Etat gagnerait à créer un tel corps et à encourager une collaboration pluridisciplinaire en vertu du fait que les DONGAN paraissent nettement plus nombreux que les médecins-légistes.
Parmi eux, il doit forcément exister des niveaux : junior, sénior et vétérans DONGAN. Chaque niveau détiendrait forcément leur propre encodage et connaissances. Toute une politique publique pourrait être élaborée sur la zombification. À l’État aujourd’hui de canaliser toute cette somme de connaissances pour le bien-être collectif et l’avancement de la science en Haïti.
Il faut arrêter aujourd’hui de considérer la zombification comme purement maléfique afin de pouvoir l’introduire dans le creuset de la science et d’en faire un patrimoine haïtien digne de ce nom.
Les occidentaux dépenses des millions de dollars pour trouver les formules actives des différentes composées de ce poison. C’est bien de cela qu’il s’agit: UN POISON. Et comme tel, il existe une dote et un antidote pour la zombification physique, bien entendu. Dans ce XXIème siècle, un autre regard sur ce phénomène s’impose à tous les haïtiens. Il est temps d’affronter cette peur collective.
Un remerciement spécial à l’anthropologue Suze MATHIEU, pour avoir facilité la connexion entre moi et un anthropologue béninois. Un remerciement spécial à Monsieur Sênami Frejus Roméo KOUSSIHOUEDE, anthropologue et juriste béninois, pour son apport de la langue Fon du Bénin dans l’appellation du corps des DONGAN.
Marie Florance JEAN PIERRE, MAP
Anthropologue, juriste