Lors de cas suspect de zombification, il est courant d’entendre que la famille de la victime consent des dépenses pour neutraliser les forces de nuisances toujours dans cette même logique de force et de rapport de force. Dans mon article sur les Dongan, Bénito a confirmé que l’une de ses tâches consistait à pratiquer l’autopsie et à titre de rappel l’autopsie dont il parle n’a rien à voir avec les examens médico-légaux ou scientifiques. Les parents qui pensent que leur défunt a été frappé par un coup mystique demandent souvent l’autopsie. Une pratique qui consiste à enlever tous les organes internes pour les remplacer par du coton.
D’autres faits évoquent l’injection de substances mortelles pour s’assurer que le corps et l’âme de la victime reposent vraiment en paix.
Quel est le poids de ces deux pratiques dans la société haïtienne (autopsie et injection de substances mortelles) d’un point de vue psychologique et pénal ?
Bien que ce n’est pas toujours facile de se mettre dans la peau de quelqu’un juste pour expérimenter certains faits vécus ou l’impact de certaines actions posées ; je me réfère, dans ce cas précis, à l’imagination collective et à la philosophie vodou en la matière.
J’imagine la situation d’une famille ou un parent qui se trouve obligé de recourir à ces procédés pour neutraliser l’action de la partie adverse. D’un point de vue psychologique, il parait que ces actions sont mues par une bonne intention. Bien qu’aucune étude n’ait été effectuée à date pour comprendre l’état d’esprit de ceux ayant ordonné la mise en application d’une telle option, mais je n’ai jamais entendu également des jugements de valeurs négatifs autour d’une telle décision.
Certains diraient que la victime était déjà morte. Mais, pourquoi donner la mort une seconde fois s’il n y a pas eu une doute légitime?
Je pense qu’actuellement, tous les haïtiens doivent se faire à l’idée que dans le processus de la zombification, la mort n’est qu’une illusion. La mort est symbolique. La victime, au fond, se trouve dans un sommeil profond. Et si tel est le cas, le zombificateur ne tue pas sa victime. Suivant les informations recueillies à partir de l’imaginaire collectif, tout un autre procédé de réanimation du corps existe puisque la victime doit être soumise à sa nouvelle vie.
Revenons à cet article 246 du code pénal haïtien. Il est dit « Est aussi qualifié attentat à la vie d’une personne, par empoisonnement, l’emploi qui sera fait contre elle de substances qui, sans donner la mort,auront produit un état léthargique plus ou moins prolongé, de quelque manière que ces substances aient été employées et qu’elles qu’en aient été les suites. Si par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée, l’attentat sera qualifiée d’assassinat». Lorsque j’analyse cet article à la lumière des connaissances actuelles sur la zombification, je détecte une contradiction flagrante qui à mon avis rend caduque une telle clause. Je m’explique.
Comment le code pénal définit le mot attentat?
Au niveau du titre II relatif aux crimes et délits/section 1, le meurtre, l’assassinat, le parricide, l’infanticide et l’empoisonnement sont regroupés comme menace d’attentat contre les personnes. Les articles 240 à 243 dudit code définissent le contenu des mots précités. Par exemple :
L’article 240 : l’homicide commis volontairement est qualifié meurtre.
l’article 241 : tout meurtre commis avec préméditation ou guet-apens est qualifié assassinat.
Article 242 : la préméditation consiste dans le dessein formé, avant l’action, d’attenter à la personne d’un individu déterminé, ou même de celui qui sera trouvé ou rencontré, quand même ce dessein serait dépendant de quelques circonstances ou de quelques conditions.
Article 243: le guet-apens consiste à attendre plus ou moins de temps, dans un ou divers lieux, un individu soit pour lui donner la mort, soit pour exercer sur lui des actes de violence.
A travers ces quatre (4) clauses, le souci du législateur était de préciser ou du moins de définir dans quelle circonstance une action peut être considérée comme un meurtre. Ce dernier peut se résumer à l’action de tuer. Toutefois, au niveau de l’article 246 qui concerne implicitement la zombification, j’insiste sur ces deux bouts de phrases : «Est aussi qualifié attentat à la vie d’une personne, par empoisonnement, l’emploi qui sera fait contre elle de substances qui, sans donner la mort….Si par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée, l’attentat sera qualifiée d’assassinat». Si la loi est d’interprétation stricte, comment qualifier ne serait-ce qu’implicitement la zombification de crime si la mort de la victime est hypothétique et n’est pas constatée (substance qui, sans donner la mort). Si la personne peut être inhumée, cela sous-entend qu’elle n’est pas morte. Et si la victime n’est pas morte, peut-on qualifier l’acte d’assassinat ?
Même quand on insisterait sur l’empoisonnement, à date, aucune preuve scientifique n’est établie sur l’existence de ce poison. En conséquence, le principe juridique qui veut que «tout fait avancé doit être prouvé» doit être écarté dans ce cas précis. Et si je veux pousser encore plus loin mes réflexions, je dirais comment peut-on prouver que l’âme d’une personne soit enfermée dans une bouteille, apparemment vide?
Si l’être humain est constitué de deux éléments (âme et corps physique) quel serait donc la partie la plus importante à prendre en compte à priori dans ce cas d’espèce?
De toute évidence, si la zombification consiste en une déconnexion de l’âme et du corps physique et dont le sujet qui en soit victime se retrouve sans volonté aucune et sous contrôle d’une tierce personne; dans le traitement juridique d’un tel phénomène peut-on considérer l’aspect physique uniquement et négliger la partie métaphysique ?
De mom point de vue, le traitement juridique du phénomène de la zombification doit être global et non partiel. Ce qui est tout de même intéressant c’est que les législateurs de l’époque avait déjà bien compris le processus de zombification. Ils ont étalé leur compréhension en donnant une piste très scientifique aux médecins-légistes.
Sur la base de ces raisonnements, il ressort que la zombification en soi ne provoque pas la mort et implicitement l’article 246 le consacre à travers les contradictions qu’il recèle dans son propre contenu.
Qui est le véritable meurtrier ?
A priori, les parents de la victime se présentent comme ceux ayant donné la mort véritablement par la décision de l’autopsier ou de lui injecter une substance mortelle. D’un point de vue contemporain, ne pourrait t-on pas considérer que la société traditionnelle haïtienne, dans son paradigme vodou, a tout bonnement pratiqué une forme d’euthanasie séculaire avant la lettre. Du grec ancien «eu» (bon) et «thenatos» (mort), par euthanasie, il faut comprendre, un acte médical consistant à provoquer la mort d’un patient afin de soulager ses souffrances physiques ou morales considérées comme insupportables (source définition/ google). A noter que cette pratique suscite encore de nos jours de vifs débats contradictoires dans les sociétés occidentales.
Imbroglio juridique de la zombification
Du point de vue du paradigme occidental, le parent de la victime y compris le zombificateur seraient innocentés en raison du fait que:
Le premier a pratiqué une forme d’euthanasie acceptée traditionnellement. Il existe aussi un vide juridique sur le sujet en Haïti ;
Le second n’a pas provoqué la mort physique et il est matériellement impossible, à date, de prouver l’existence de la poudre à zombi «poud zombi an».
Pour le paradigme vodou, les rapports de force seraient tout simplement en équilibre ou ramenés à zéro.
Certains avanceraient que retrouver un individu «bien vivant» déclaré «mort» chez une tierce personne, suffirait pour le déclarer complice ou coupable de zombification. Ce serait aborder ce phénomène sous un angle plutôt très simpliste et cela n’aidera nullement la science juridique haïtienne à l’appréhender dans sa complexité. Les prisons haïtiennes risquent d’être débordées.
Au mieux, j’estime qu’il serait totalement impossible de traiter le phénomène de la zombification suivant le paradigme occidental en raison des limites objectives et rationnelles qui entourent le traitement des faits juridiques. Et paradoxalement, ce même principe juridique qui veut que «Tous faits avancés doivent être prouvés» bloque tout processus de prise en charge global pour ce cas d’espèce et se trouve en contradiction avec le paradigme vodou qui incorpore la zombification éthérée «zombi nanm» dans sa démarche métaphysique rationnelle et objective.
La société haïtienne se trouve face à un imbroglio juridique et la zombification comme telle ne peut être traitée et ne doit pas être traité à travers quelques articles très superficiels à l’intérieur d’un code pénal à essence occidentale.
Marie Florance JEAN PIERRE, MAP
Anthropologue, juriste
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