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Politique

« Plus le statu quo sera maintenu, plus la situation deviendra explosive », prédit Jake Johnston

Alors que ce mercredi, le président Trump a assuré que le Venezuela serait bientôt « libre » ; Haïti cherche toujours à obtenir la démission du président Jovenel Moise. Même s’il est sorti de son silence après un mois de crise aiguë, privant les Haïtiens de carburant et de mois sans gouvernement ; sa demande de trêve politique n’a pas été entendue et des milliers d’Haïtiens ont, une fois de plus, gagné les rues pour exiger son départ. L’anarchie règne dans la capitale, Port-au-Prince, où les incendies se mêlaient aux tirs pendant toute la journée. Pour mieux cerner les contours d’une crise qui se durcit notamment à travers le soutien des Américains au Chef de l’État haïtien, la journaliste indépendante Nancy Roc a interviewé Jake Johnston. Ce dernier est un chercheur international associé au Centre for Economic and Policy Research de Washington (CEPR) et rédacteur principal du site Web Haïti: Relief and Reconstruction Watch.

 

NRocLa situation s’aggrave au jour le jour en Haïti. Quelle est votre lecture des derniers événements ?

Jake Johnston : « Hier, le président Moise a de nouveau appelé au dialogue. C’est au moins la troisième fois qu’il le fait au cours des quinze derniers mois. Mais après avoir échoué à tenir les promesses du passé, il ne lui reste plus que très peu de crédibilité. Le dialogue n’est qu’un mot, il faudrait aller de l’avant avec des mesures concrètes notamment en prenant des mesures contre des agents de l’État impliqués dans des violations des droits de l’homme et contre les personnes impliquées dans le dossier Petrocaribe. »

NRocAprès un mois, Moise est sorti de son silence pour proposer un dialogue et un gouvernement d’union nationale. Cette proposition a été rejetée par tous les partis politiques ce matin. De plus, le Forum économique privé a implosé hier soir. D’après nos informations, 12 hommes d’affaires sur 15 étaient pour le départ de Moïse, mais 3 hommes d’affaires puissants – dont il est inadmissible qu’on ne révèle pas les noms dans une telle situation de crise – auraient été contre. Le président du Forum économique, Bernard Craan, a donc démissionné. Pour la première fois, nous voyons tous les secteurs de la société civile divisés et pas seulement les partis politiques. Qu’est-ce que cela indique pour vous?

« La crise en Haïti est souvent décrite comme une lutte strictement politique – mais ce qui est devenu évident au cours de la dernière année est l’ampleur du mécontentement dans la société haïtienne. Les acteurs internationaux continuent de voir dans la crise une crise motivée par la politique, mais il faut vraisemblablement la percevoir comme la manifestation de la colère énorme suscitée par un système politique et économique qui a laissé tomber le peuple haïtien. C’est pourquoi toute proposition de solution impliquant uniquement la classe politique est vouée à l’échec. »

NRoc : De nombreux observateurs ont assuré que le PHTK a toujours martelé aux Américains qu’il était le seul parti politique avec Lavalas. Le Parti au pouvoir a également insisté sur le fait que la société civile en Haïti était inexistante. Croyez-vous que le  gouvernement américain partage cette vision?

Jake Johnston : « De nombreux habitants d’Haïti ont longtemps utilisé le spectre de «Lavalas» pour effrayer les acteurs internationaux et les inciter à soutenir le statu quo. Mais ce ne sont pas les «Lavalassiens» qui effraient les acteurs internationaux et de nombreux membres de l’élite haïtienne, mais bien tout mouvement de masse exigeant des changements. Le système politique et économique est obsolète pour la majorité, mais il fonctionne très bien pour ceux qui sont encore à l’intérieur de ce système. La communauté internationale a peur de l’inconnu, de l’alternative au statu quo. Mais plus le statu quo sera maintenu longtemps, plus la situation deviendra explosive. »

NRoc-  Questionnée sur la désignation controversée de Fritz William Michel comme Premier ministre, Mme Robin Diallo, numéro 2 de l’ambassade des États-Unis en Haïti, a déclaré que les États-Unis ne supportaient pas « la personne (de Jovenel Moïse), mais le titre de président qui a été élu démocratiquement (…) les États-Unis s’intéressent à la démocratie. Si c’est Fritz William Michel ou n’importe qui d’autre, ce qui est important pour nous, c’est le processus», a-t-elle dit. Qu’avez-vous pensé d’une telle position quand les États-Unis ont fait le contraire au Venezuela? Pourquoi n’admettent-ils pas l’incompétence de Moise alors que la situation s’aggrave depuis deux ans?

« Les diplomates s’exprimeront toujours dans un langage codé, il faut s’y attendre. Mais quand on parle de soutenir le «processus démocratique», de quel type de processus parle-t-on? La participation (électorale) a régulièrement diminué depuis plus de dix ans en Haiti. La grande majorité de la population semble avoir abandonné le processus démocratique. Le processus électoral précédent était fatalement imparfait depuis le début, mais pour les acteurs internationaux, les élections ne sont qu’une simple case à cocher, un spectacle pour créer la façade d’une véritable démocratie. »

« La politique américaine a connu un changement rapide et radical en janvier 2019, lorsque le gouvernement haïtien a rompu avec la pratique antérieure et a voté contre le Venezuela au sein de l’Organisation des États américains. Le principal objectif de la politique étrangère des États-Unis dans l’hémisphère est de renverser le gouvernement vénézuélien et, tant que Haïti sera utile dans cette lutte, les États-Unis resteront à ses côtés.»

NR La situation en Haïti est extrêmement volatile et tout peut arriver. Les États-Unis ne font-ils pas ce constat ou refusent-ils simplement d’admettre que leur politique étrangère a échoué en Haïti?

J.J « Pour les États-Unis, Haïti est simplement un problème à gérer. C’est une politique d’endiguement, consistant à garder le couvercle sur les choses tout en maintenant le statu quo insoutenable. Mais en gardant ce cap, la pression interne continuera de s’accroître. »

NRMais leur soutien à Moise ne radicalise-t-elle pas l’opposition et les masses ? Prévoyez-vous un soulèvement incontrôlable bientôt en Haïti et quel pourrait en être le résultat?

J.J : «  Je pense que nous assistons à l’effondrement d’un système économique et politique qui n’a pas tenu ses promesses envers le peuple haïtien. Mais les acteurs internationaux ont passé des décennies à saper et à diviser les mouvements populaires haïtiens et de la société civile. Cela a été direct, mais aussi indirect grâce à l’aide étrangère – qui contourne les organisations locales et fait tout pour saper les forces locales de changement. »

« Je ne pense pas que quiconque puisse prédire l’avenir, ni savoir ce qui va arriver, mais perpétuer un système défaillant ne fera qu’exacerber le risque d’une éventuelle explosion. »

NR :  25 ans après « l’Opération Soutenir la démocratie», les interventions de 1991 et 2004 -visant à supprimer la junte militaire, puis à exiler Aristide- n’ont transformé Haïti en une démocratie. Certains observateurs pensent même que la situation s’est empirée par rapport aux années 90.  Bientôt, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) arrivera ici. Croyez-vous que cela puisse changer quelque chose?

J.J : «  Après des décennies et en réalité des siècles d’intervention internationale en Haïti, il devrait être clair pour tout le monde qu’une nouvelle ingérence n’est pas la solution. »

NRoc : À l’heure actuelle dans les nouvelles, Port-au-Prince est en ébullition, entre manifestations et de nombreux tirs.  Selon vous, qu’est-ce qui nous attend et quand les États-Unis se rendront-ils compte de leur échec?

Jake Johnston : «  Ceux qui rendent la révolution pacifique impossible rendront la révolution violente inévitable », a déclaré JFK en 1962…

 

Interview Nancy Roc, le 25 septembre 2019.

Photo : Jeanty Junior Augustin

 

Jake Johnston est diplômé de l’Université de Boston et détient une Licence en économie. Au CEPR, ses recherches ont principalement porté sur la politique économique en Amérique latine, le Fonds monétaire international et la politique étrangère des États-Unis. Il est l’auteur principal du blog Haiti: Relief and Reconstruction Watch du CEPR et est l’auteur de documents sur Haïti concernant l’épidémie de choléra, la responsabilité et la transparence de l’aide et le système américain d’aide à l’étranger. Ses articles et ses éditoriaux ont été publiés dans des journaux tels que le New York Times, l’Intercept, le NACLA, le Boston Review, le VICE News, l’Al Jazeera America et le Truthout.

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