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Dr Fritz Dorvilier analyse les retombées de la rançon exigée par la France sur le développement d’Haïti

Dr Fritz Dorvilier analyse les retombées de la rançon exigée par la France sur le développement d'Haïti
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Dans une interview exclusive accordée à Juno7, le professeur Fritz Dorvilier, actuellement consul général d’Haïti à Montréal, est revenu sur les articles du New York Times concernant la rançon exigée par la France pour la reconnaissance de notre indépendance gagnée pourtant sur les champs de bataille. Il en a profité pour analyser les impacts d’une telle enquête.

Le sociologue critique l’extrapolation rétrospective faite par certains économistes qui ont évalué pour le New York Times les retombées positives, en termes de croissance économique, que ces sommes d’argent versées à la France auraient pu avoir sur le développement du pays si elles avaient été investies au sein de la société haïtienne.

Juno7 : Que pensez-vous de l’enquête du New York Times et ses nombreuses révélations sur les mécanismes pour siphonner les caisses de l’État en s’acquittant d’une double dette envers les colons français et la banque CIC ?

Fritz Dorvilier : Je pense que cette enquête, compte tenu de sa nature journalistique et donc dédiée à un large public, s’avère d’une grande importance socio-politique. Car, s’il est vrai que la plupart des faits qui y sont relatés ont été déjà révélés (sauf peut-être les noms des héritiers des colons et banquiers français encore en vie, ainsi que l’évaluation globale des montants versés par Haïti) par les chercheurs universitaires haïtiens et étrangers.

Cette enquête témoigne de ce que Pierre Bourdieu appelle une concurrence déloyale entre les Journalistes et les Chercheurs universitaires, au sens que les journalistes font souvent un petit travail pour un grand bénéfice, alors que les travaux des chercheurs peinent à être largement reconnus par manque de vulgarisation et par boycottage des acteurs dominants (journalistes vedettes, patrons de médias, grands groupes industriels et financiers, politiciens au service d’intérêts particuliers). Cela dérive du fait que les savoirs rigoureusement historique et sociologique dérangent.

En somme, le New York Times, en tant que média dominant d’un pays dominant, sort des sentiers battus de puissants groupes d’intérêts pour faire ce cadeau à la communauté des citoyens haïtiens. Il doit être grandement remercié. On a parfois besoin d’un plus grand que soi dans le cadre d’une lutte socio-économique.

Juno7 : Comme sociologue, pensez-vous que cette publication peut influer d’une quelconque manière sur la crise que nous vivons actuellement ?

Fritz Dorvilier : Non, je ne le pense pas. C’est dire que cette enquête est rendue publique à un mauvais moment. Le contexte politique, tant au niveau international que national, constitue de toute évidence un solide frein aux influences que cette bonne enquête (au sens éthique et scientifique) pourrait avoir. En effet, d’une part, la sale et injuste guerre de la Russie contre l’Ukraine mobilise aussi bien l’attention (morale) que d’importantes ressources économiques de l’Occident; et, d’autre part, le fait qu’il n’y a pas en ce moment de dirigeants démocratiquement élus et donc légitimes en Haïti constitue un grand handicap pour les retombées de cette enquête justement accusatrice.

S’agissant de la potentielle influence interne, il faut des dirigeants choisis et reconnus par le peuple haïtien pour accueillir cette enquête et œuvrer politiquement à la convertir en capitaux symboliques et financiers. Cependant, cette enquête va faire date. Il nous faudra des dirigeants légitimes, compétents, loyaux au peuple haïtien et honnête pour pouvoir faire fructifier cette enquête.

Juno7 : Indemnité, dette, rançon quel est le concept le plus approprié pour qualifier ces sommes astronomiques versées par Haïti ?

Fritz Dorvilier : De toute évidence, il s’agit d’une rançon. Car le peuple haïtien n’a fait aucun emprunt auprès de la France avant le 18 novembre 1803. Bien au contraire, les Africains déportés et déshumanisés ont consenti d’énormes sacrifices pour pouvoir se libérer des jougs des colons esclavagistes et former l’État puis la Nation d’Haïti. Ils devraient plutôt être dédommagés pour les trois siècles de travail forcé qu’ils ont endurés. Frédéric Marcelin a d’ailleurs proposé une évaluation du coût du travail des esclaves. En outre, dans la coutume relative à la guerre entre les Nations, ce sont les vaincus qui payent ou indemnisent les vainqueurs. On sait bien que c’est l’Armée indigène de Saint-Domingue qui a infligé une cinglante défaite aux troupes aguerries de Napoléon. Le traité de Versailles du 28 juin 1919 en atteste, par exemple.

Par ailleurs, comme l’a brillamment montré Frédérique Beauvois (chercheuse citée dans l’enquête du Ney York Times), après les vagues d’abolition de l’esclavage en Amérique par les Britanniques, les Américains et les Français, ce sont les États de ces pays qui ont indemnisé les propriétaires d’esclaves. L’indemnisation fût donc un dispositif réparateur intra-étatique. Or l’indemnisation imposée manu militari par la France à Haïti fut de nature inter-étatique. Qui plus est, cette indemnité ne portait pas seulement sur la propriété servile perdue, mais sur l’ensemble des biens immobiliers des colons propriétaires de Saint-Domingue. Cette indemnité fut d’autant plus scélérate que lors de la guerre de l’Indépendance (1791-1803), une importante quantité de Colons propriétaires se sont enfuis avec leurs esclaves à talents et leurs capitaux vers principalement Cuba, les États-Unis et le Canada. Certains héritiers des Colons, outre le fait qu’ils avaient surévalué leurs pertes, ont donc été doublement indemnisés.

Juno7 : En tant que spécialiste du développement, pouvez-vous établir un rapport entre le sous-développement du pays et cette rançon qui nous a été exigée ?

Fritz Dorvilier : C’est une question qui mérite une profonde réflexion et donc beaucoup plus de temps pour y répondre rigoureusement. Car l’argent ne suffit pas pour développer un pays. C’est sur ce point que j’ai un désaccord avec certaines conclusions économicistes du New York Times. Je trouve effectivement qu’il est trop facile, voire arbitraire, de construire des modèles économétriques rétrospectifs sur les retombées que ces sommes d’argent versées à la France auraient pu avoir si elles avaient été investies dans la société haïtienne. Dans la mesure où non seulement rien ne prouve que l’État haïtien aurait eu la volonté et se serait organisé pour générer ces sommes sans la contrainte armée de l’indemnité de l’indépendance, mais aussi le capital humain, facteur principal du développement, faisait et fait encore grandement défaut en Haïti.

À ce propos, il est à rappeler, d’un point de vue anthropologique, que les nouveaux citoyens haïtiens, traumatisés par l’expérience plantationnaire, ne voulaient travailler que pour la simple survie de leurs familles. Ils avaient renforcé le modèle d’économie familiale de subsistance hérité des communautés africaines. La judiciarisation du travail agricole à travers les Codes ruraux n’a pas véritablement donné de grands résultats, compte tenu des pratiques néo-marronnaires mis en place par les paysans haïtiens. Aussi, l’éducation, qui est la plus importante composante du Capital humain, ne fut pas une priorité pour les dirigeants Haïtiens. Boyer n’a-t-il pas déclaré que “semer l’instruction c’est semer la révolution”.

Juno7 : La France a certes exigé autant d’argent à Haïti, mais comment peut-on analyser la collaboration des dirigeants haïtiens pendant plusieurs décennies ?

Fritz Dorvilier : Encore une question qui nécessite une fine et longue analyse sociologique des comportements des élites politique et économique haïtiennes. De façon synthétique, je peux dire que les membres de l’élite politique haïtienne, mis à part Dessalines et Christophe, ne se sont pas reconnus comme faisant partie d’une communauté de citoyens et donc de destin. Outre leur attachement viscéral à la France de leurs pères blancs, en ce qui concerne les mulâtres, ils ne visaient le pouvoir et ne gouvernaient que pour satisfaire leurs propres intérêts.

L’intérêt général n’était pas leur but. Il devenait donc normal qu’ils acceptassent de payer la rançon de l’indépendance àla France. Il faut rappeler qu’ils se sont enrichis parallèlement au paiement de celle-ci. Or les masses rurales se sont appauvries tant matériellement qu’intellectuellement. En somme, ils avaient choisi leurs camps : ceux du pouvoir exclusif et des intérêts personnels.

Dr Fritz Dorvilier analyse les retombées de la rançon exigée par la France sur le développement d'Haïti

Juno7 : Pensez-vous que Haïti est en droit de réclamer une restitution de cette somme pour financer son développement ?

Fritz Dorvilier : Évidemment. La réclamation des sommes versées à la France est une obligation cruciale. C’est pourquoi j’ai dénoncé et dénonce encore les intellectuels qui ont signé une pétition politicienne et donc bassement partisane contre la demande faite par l’ancien Président Aristide.

Il est à noter que certains d’entre eux ont la nationalité française ou sont déterminés par l’attente de la reconnaissance symbolique (prix littéraire, médaille de mérite) de la part de la France.

Les Haïtiens ont donc grand besoin de capitaux financiers pour assurer son décollage économique. Ainsi, la France peut faire deux actions. La première consisterait au remboursement d’une partie des sommes payées par l’État haïtien (ce ne sont pas les moyens financiers qui manquent, car les milliards de dollars d’appui à l’Ukraine montrent que le remboursement de la rançon est possible). La seconde pourrait prendre la forme d’investissements directs étrangers.

La France investit déjà environ un milliard de dollars en République dominicaine, avec plus de 30 entreprises, alors que ses investissements en Haïti ne dépassent pas 50 millions de dollars, avec moins de 5 entreprises.

Cela n’est néanmoins pas évident. Le désintérêt de la France pour Haïti est tel que même une simple entreprise de Centre d’appels est localisée en terre voisine, alors que l’une de nos langues officielles et culturelles est le français. Il devient donc clair que la France n’est vraiment disposée à donner que deux choses dérisoires (du point de vue du développement économique) à Haïti : l’aide humanitaire et les prix littéraires. Or, on ne peut pas créer des emplois, promouvoir la croissance économique et ainsi faire du développement avec ceux-ci.

Merci!

Propos recueillis par JA

Fritz Dorvillier est détenteur d’un doctorat en sciences sociales de l’Université Catholique de Louvain en Belgique. Il était enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti de 2007 à 2020. Ses recherches portent sur l’éducation, la gouvernance territoriale, le développement local, la démographie et la justice.

En savoir plus:

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1 Comment

1 Comment

  1. Codie Juliette

    19 juin 2022 at 0h21

    Ce groupe d’anciens étudiants de sciences de Juno7 ne fait que promouvoir son Maitre corrompu, l’imposteur Fritz deux six collés. Ce n’est vraiment pas un journal pourri à suivre.
    Ce sont des serviteurs de Fritz Bandit légal placé au consulat canada parce qu’il sert le pouvoir des bandits légaux.

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